Du 8 au 21 mars, le Printemps des Poètes revient à Lyon pour une 12è édition sur le thème “couleur femme“, riche en rencontres, lectures, performances, au cours desquelles la poésie va s’insinuer délicatement au cœur de la ville. À cette occasion, Lyon Capitale est parti à la rencontre du grand poète, dramaturge et directeur artistique à l'origine de cet événement national, Jean-Pierre Siméon. L’auteur, dont le poème dramatique Philoctète incarné par Laurent Terzieff triomphe dans toute la France, analyse les racines profondes du Printemps des Poètes et explique en quoi la poésie est une dissonance dans le monde d’aujourd’hui…
Lyon Capitale : Cette année la thématique est “couleur femme”. Vous avez d’ailleurs précisé que la question ne sera pas de débattre d’une écriture féminine mais plutôt de mettre en lumière les femmes poètes à travers l’histoire. Pensez-vous que les femmes n’ont pas encore toute la notoriété et la place qu’elles méritent dans le monde de la poésie ?
Jean-Pierre Siméon : À travers cette thématique je souhaitais surtout pointer du doigt une injustice : dans le domaine de la poésie et des arts en général on est victime d’une tradition machiste. L’apport des femmes dans la production poétique depuis toujours a été minimisé. On a souvent cantonné les femmes au rôle de muse mais depuis l’époque médiévale avec Marie de France, les femmes se sont emparées de la poésie. Je pense notamment à Marguerite de Navarre, Marceline Desbordes-Valmore… Aujourd’hui, il n’y a jamais eu autant de femmes dont les œuvres comptent au sein d’une même génération, celle des trentenaires/quarantenaires. Et puis je souhaitais aussi que l’on répare l’injustice faite aux femmes, âgées d’à peu près 70 ans, qui ont une œuvre très importante qu’on ne connaît pas. Je pense à Andrée Chedid, plus connue pour ses romans, Marie-Pierre Banquart, Liliane Wouters, Anise Koltz…
Le Printemps des Poètes est désormais d’envergure nationale et internationale, n’est-ce pas un peu artificiel d’imposer une thématique dans un événement aussi multiple et d’une telle ampleur ? Par exemple à Lyon, la programmation semble faire la part belle cette année à la poésie russe et turque et “couleur femme” apparaît quelque peu secondaire dans la programmation…
Le thème n’est pas impératif, c’est une suggestion. Le Printemps des poètes est une manifestation particulière, unique sur le plan national. Moi, je suis là seulement pour accompagner le mouvement mais il y des réalités locales très différentes et c’est tant mieux. On n’est pas dans un centralisme dirigiste ! C’est un événement qui vaut dans sa durée dans la mesure où il est la partie émergée d’un travail de fond qu’ont entrepris des milliers de passeurs de poèmes : les libraires, les enseignants, les comédiens, les associations, les petits éditeurs… Lyon est un bel exemple de cela avec le très beau travail depuis des années de Thierry Renard (Ndrl. directeur de l’Espace Pandora). Le Printemps des Poètes a seulement révélé cette force et cette foule. Quel que soit le moyen, l’important c’est la rencontre entre le public et la poésie qui est un point de départ et non une fin. Tout le monde est autorisé à la poésie, c’est un art qui doit retrouver le lien populaire. Aujourd’hui plus que jamais dans le 21è siècle, la création contemporaine se caractérise par la diversité de formes, d’enjeux et de tons. La poésie couvre un éventail extraordinaire de champ d’expressions et de registres.
Mais justement cette absence de grands néologismes fédérateurs (jadis le romantisme, le symbolisme, le surréalisme…) n’est-elle pas responsable du fait qu’aujourd’hui les gens ont du mal à identifier qui sont les grands poètes et à saisir quelles sont leurs interprétations du monde ?
Le foisonnement et la diversité des approches poétiques et des formes doivent sûrement troubler et déconcerter, mais paradoxalement c’est parce que la poésie n’est pas enfermée dans une esthétique qu’elle est fascinante, c’est grâce à sa liberté formelle et sa liberté de ton. Elle est une dissonance dans une société telle que la nôtre. C’est une parole qui tranche avec le grand continuum verbal et l’hyper bavardage dans lesquels nous sommes englués. L’intensité et la densité de la parole s’opposent à l’uniformisation extrême du langage telle que le pouvoir des médias l’impose, notamment la télévision, la radio, les hommes politiques. Aujourd’hui nous sommes dans une langue asservie alors la poésie nous sauve et nous restitue un sentiment de liberté fort. La poésie nécessite certes un effort, mais tout le monde peut y accéder en faisant appel à une compétence qui est en nous : “l’attention”. Les occidentaux ont mis à mal cette compétence, nous sommes devenus des êtres désinvoltes qui nous contentons d’une lecture de surface du réel. Il suffit de rompre avec ce formatage, nous serons alors capables d’être dans l’arrêt, dans l’immobilisation, dans la durée, dans le temps reconquis et c’est ainsi que nous pourrons être dans une lecture de la complexité. La poésie est un point d’entrée dans l’immensité du réel qui nous habite. Le véritable enjeu du Printemps des Poètes est là, sérieux, grave, profond et politique….
Quels sont les poètes qui, d’après vous, resteront dans l’Histoire de la littérature ?
Je pense à des poètes aux esthétiques et univers très divers tels que Jacques Roubaud, André Velter, Yves Bonnefoy, Christian Prigent, Jacques Réda, Alain Jouffroy, Jean-Claude Pirotte, Jean-Marie Barnaud, Philippe Jaccottet… J’ai l’impression qu’aujourd’hui, il y a plus de “très bons” poètes que de “très bons” romanciers !
Le Printemps des Poètes à Lyon, du 8 au 15 mars. Infos Pandora : 04 72 50 14 78.
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