Emballement médiatique, amitiés et adolescence… C'est la sélection littéraire de Lyon Capitale.
Coup de pied au woke !
Il y a quelque chose de fraternel dans le héros du dernier roman d’Abel Quentin (écrivain mais aussi avocat de renom). Jean Roscoff (c’est son nom même s’il n’a rien de breton) se situe quelque part entre les (anti) héros de Michel Houellebecq et Henry Bukowski. Autant dire qu’il a un sérieux problème avec l’alcool.
Mais avec quoi n’a-t-il pas de problème ?, devrait-on s’interroger. Sa femme l’a quitté, il ne s’en remet pas. Et si sa fille continue de lui pardonner toutes ses gaffes et maladresses, il n’en va pas de même avec sa compagne, militante lesbienne ultra féministe et ultra intolérante avec ceux qui ne partagent pas ses combats.
L’université où il a enseigné ne veut plus l’accueillir. Reste la littérature (et bien sûr les nombreux verres qu’il s’enquille dès le matin). Son premier ouvrage aurait pu être bien accueilli, s’il ne s’était pas complètement fourvoyé sur le couple d’intellectuels communistes dont il a écrit la biographie. Mais comme il faut bien s’occuper quand on est poussé à la retraite, il se lance dans la rédaction d’un essai sur un obscur, mais génial, poète et musicien américain. L’écriture le réconcilie avec l’existence. Jusqu’à ce que l’ouvrage finisse par sortir.
Malédiction, un étudiant mal intentionné s’aperçoit que Roscoff n’a pas suffisamment mentionné que le poète sur lequel il a écrit était noir. De fil en aiguille, il va d’abord subir la vindicte des réseaux sociaux, puis la colère et la haine de fervents défenseurs de la woke et de la cancel culture. On l’accuse de racisme, lui l’ancien compagnon de Harlem Désir et Julien Dray au sein de SOS Racisme dans les années 80.
Le voilà pris dans une véritable tempête médiatique, victime de harcèlement et de violence, laminé par la presse tout entière, blacklisté, rejeté par les uns et récupéré par les autres, les infréquentables réacs.
Avec un humour irrésistible et une ironie mordante, Abel Quentin dépeint le chemin de croix de son héros. Jusqu’à la fin, tellement réussie qu’il n’est pas question qu’on vous la raconte.
C. M.
Le Voyant d’Étampes – Abel Quentin, Éditions de l’Observatoire, 384 p., 20 €.
Abel Quentin est l’un des écrivains invités de la Fête du Livre de Bron, du 11 au 13 mars.
Coureur de haut vol
Si l’histoire qui nous est racontée dans Ne t’arrête pas de courir nous passionne à ce point, ce n’est pas seulement parce qu’elle est aussi formidable qu’incroyable.
C’est aussi parce qu’elle nous est transmise avec une sincérité vibrante par l’auteur, Mathieu Palain, journaliste indépendant (collaborateur, notamment, de Libé et de la revue XXI). C’est celle de Toumany Coulibaly, cinquième enfant d’une famille originaire du Mali qui en compte dix-huit (!).
Dans la banlieue d’Essonne, peu favorisée, où Toumany Coulibaly voit le jour il y a plus de 33 ans, l’horizon paraît sérieusement bouché. Et l’on a vite fait de tomber dans la délinquance, le deal, les vols, les braquages. D’autant que le petit Toumany a un défaut rédhibitoire : il ne sait pas dire non.
Mais contrairement à de nombreux gamins de son âge dans la même situation, il a une porte de sortie : devenir joueur de foot ou, plus original, coureur de 400 mètres plat.
En effet, dès ses premières courses, malgré une technique approximative, son talent saute aux yeux des spécialistes. Là où l’adolescent court, on se dit qu’il pourrait être une sorte d’Usain Bolt français tant il vole littéralement sur la piste. Pas moins. Las, il aime aussi voler, au sens propre du terme, non pour s’approprier le bien d’autrui mais pour l’adrénaline que lui procurent les mauvais coups, les larcins nocturnes.
Sa jeunesse se passe donc entre courses, souvent gagnées ; entraînements acharnés ; tentatives toujours avortées de mener une vie honnête et, inéluctablement, retour à la case prison.
Mathieu Palain, qui a grandi dans la même banlieue que le coureur, s’est efforcé de percer le mystère de ces dons inexploités. Son livre en témoigne. Mais il raconte aussi, et surtout, le lien qui se tisse petit à petit entre les deux hommes qui, dans un premier temps, ne se voient que lors de visites en maison d’arrêt. Le portraitiste finit d’ailleurs par s’intégrer dans son tableau pour exprimer la force de cette amitié qui se prolonge aujourd’hui, loin des parloirs.
C. M.
Ne t’arrête pas de courir – Mathieu Palain, éditions L’Iconoclaste, 422 p., 19 €.
Mathieu Palain est l’un des écrivains invités de la Fête du Livre de Bron, du 11 au 13 mars.
La Vie secrète de Vincent Lacoste
Dans sa jeunesse, Riad Sattouf se rêvait en dessinateur de science-fiction mais, il le dit lui-même, ses monstres fantastiques ne faisaient guère recette.
La future star de la BD se rabattit alors sur un autre genre de monstres, sans doute ceux qu’il connaissait le mieux : les ados, dont il fit des créatures absolument hilarantes et remplit ses différents ouvrages (La Vie secrète des jeunes, Retour au collège, Les Cahiers d’Esther et L’Arabe du futur, qui raconte sa propre jeunesse entre la Syrie et la France).
Et même un film, acclamé, Les Beaux Gosses en 2009. C’est ce film qui est à l’origine de son dernier livre, irrésistible comme toujours. Pour Les Beaux Gosses, Sattouf caste un grand machin très mou “à la bouche de têteur”, fan de rap hardcore, de cinéma (enfin, de Scarface) et… de tecktonik : Vincent Lacoste.
Le gamin sait à peine jouer (mais il fait rire en ne faisant rien), il deviendra pourtant un acteur reconnu. C’est sa vie que décide de raconter Riad Sattouf, avec la même justesse que dans L’Arabe du futur ou Les Cahiers d’Esther, avec ce sens de l’observation insensé, dans un projet en trois volumes dont le premier est sorti en fin d’année dernière et narre le chapitre Beaux Gosses. L’auteur y dévoile un Lacoste aussi innocent qu’hilarant, ado au carré, avec lequel il tisse une touchante relation si ce n’est père-fils, du moins oncle-neveu. En faisant rien moins (ils tourneront un autre film) que son Jean-Pierre Léaud/Antoine Doinel, lui le fan absolu de Truffaut. Comme à chaque fois, c’est évidemment immanquable et, décidément, personne ne dessine une tronche d’ado moche comme Riad Sattouf.
K. M
Le Jeune Acteur 1 – Aventures de Vincent Lacoste au cinéma – Riad Sattouf, Les Livres du futur, 140 p, 21,50 €.