L’escalier en spirale du musée de la Civilisation gallo-romaine est doté d’une rampe héli­coï­dale inspi­rée du musée Guggen­heim de New York © Michel Denancé

L’architecture lyonnaise et ses secrets : le triomphe du béton

Marquée par la construction de “grands ensembles” en béton et l’émergence de constructions souvent décriées – tels le centre d’échanges de Perrache ou le quartier de la Part-Dieu –, l’architecture lyonnaise dévoile aussi d’autres pépites reflétant cette époque, loin des sentiers battus : abris antiatomiques, derniers vestiges d’une maison close, jardins suspendus sur les toits de Perrache et jardin caché Rosa-Mir. Balade à travers Lyon.

Après la Deuxième Guerre mondiale, l’architecture lyonnaise est influencée par le style international, animé par Le Corbusier. Un style dont Lyon s’était jusqu’alors tenu à l’écart, même si certains bâtiments, comme le garage Citroën ou le cinéma Pathé, dans une lignée Art déco, annonçaient déjà les formes de l’avenir. En 1945, le pays est sinistré.

L’heure est à la reconstruction, avec un réel besoin de développer l’habitat collectif. C’est le moment de l’édification de “grands ensembles” avec un matériau bon marché : le béton armé. D’abord utilisé en périphérie sous le mandat d’Édouard Herriot, jusqu’en 1957, le béton armé se taille une place de choix dans le centre-ville avec l’avènement du nouveau maire Louis Pradel, à la tête de Lyon de 1957 à 1976. Trois grands ensembles sortent de terre lors des Trente Glorieuses : les HLM de Bron-Parilly (1951-53), le grand ensemble de la Duchère (1956-77), formé de quatre quartiers bien distincts, et les Minguettes, à Vénissieux (1960-72). C’est également le béton qui triomphe pour le campus universitaire de la Doua (1957), le projet de la Part-Dieu (1969-77) – regroupant une bibliothèque, un auditorium, un gratte-ciel (le fameux “Crayon”) et un centre commercial –, l’hôpital cardiovasculaire Louis-Pradel (1965-69), la piscine sur le Rhône (1962). 

Au cours des années 1960, d’autres matériaux viennent compléter le béton armé et les progrès de la métallurgie redonnent une place essentielle à l’acier, comme dans le centre d’échanges de Perrache (1972-76).


Repères
Le style international

Une nouvelle vision de l’espace architectural naît dans les premières décennies du XXe siècle. Grâce à l’invention de nouveaux matériaux et sous l’impulsion de mouvements artistiques comme le cubisme, le futurisme, De Stijl et le constructivisme russe, des architectes remettent en cause le volume traditionnel d’une construction portée par ses murs. En 1919, Gropius fonde le Bauhaus à Weimar, une école qui intègre les arts appliqués dans les projets architecturaux. Avec l’avènement de Hitler en 1933, les maîtres du Bauhaus comme Gropius et Mies van der Rohe s’exilent aux États-Unis où leur influence contribue à propulser le pays à la tête de l’architecture du XXe siècle. Le Corbusier fonde, lui, la revue L’Esprit nouveau en 1920, à Paris, mais ses idées novatrices peinent alors à convaincre une France enracinée dans la tradition. On parle souvent de Mouvement moderne concernant la période des années 1920-40, animée par Le Corbusier et les pionniers du Bauhaus. L’expression “style international” apparaît pour la première fois en 1932 dans un ouvrage de l’historien de l’architecture Henry-Russell Hitchcock et de l’architecte Philip Johnson.


Lyon 5e
Le musée de la Civilisation gallo-romaine

© Michel Denancé

La construction de Bernard Zehrfuss (1968-75) est une des grandes réussites de cette période. Grâce à une structure en béton armé enfouie dans la colline de Fourvière et une enveloppe recouverte par la végétation, le bâtiment se fond dans le décor, sans s’imposer face au théâtre antique. Son escalier en spirale est devenu un emblème du musée.


Quelques édifices emblématiques de la période

Lyon 3e
L’auditorium de la Part-Dieu

© BM Lyon

La grande coquille de l’auditorium réalisée en 1975 par Henri Pottier et Charles Delfante rappelle la chapelle Notre-Dame-du-Haut à Ronchamp, une œuvre tardive du Corbusier.


Lyon 9e
Les Érables à la Duchère 

© BM Lyon

Jean Dubuisson, un disciple de Le Corbusier, a construit une barre d’immeuble très pure, dont le graphisme de lignes doubles ou triples se coupant à angle droit n’est pas sans rappeler un tableau de Mondrian.


Lyon 3e
La tour du Crédit lyonnais

© Julien Mignot

Le fameux “Crayon” de l’architecte américain Araldo Cossutta est réalisé entre 1973 et 1977. Cette tour de 165 mètres de haut, à la couleur ocre et la forme arrondie, évoque les tourelles du Vieux-Lyon. Elle illustre les prémices du post-modernisme, en réponse à la sécheresse plastique du style international.


Lyon 3e
Le parking des halles

© Nadège Druzkowski

Pour ce parking aérien hélicoïdal réalisé par Jean Zumbrunnen, Charles Delfante et René Provost en 1970, le béton préfabriqué se déploie à l’infini… Son toit-terrasse, jadis inaccessible au public, a aujourd’hui été reconverti en gigantesque œuvre d’art par l’artiste Mengzhi Zheng.


Lyon 7e
La piscine sur le Rhône

Inaugurée en 1965, la piscine de l’architecte Alexandre Andouze-Tabourin (actuel centre nautique Tony-Bertrand), avec son architecture épurée et dynamique, ressemble à un immense navire amarré à quai. Construite sur les berges du fleuve, elle perpétue la tradition des bains de rivière. Son envergure monumentale n’est pas anodine, elle a été réalisée à l’occasion de la candidature de Lyon aux Jeux olympiques d’été de 1968.


Le saviez-vous ?

Plusieurs immeubles aux numéros 40, 49 et 61, de l’avenue Berthelot, ainsi que l’église Saint-Michel, détruits par le bombardement américain du 26 mai 1944, ont été reconstruits dans le style architectural des années 1950. Au printemps 1944, les Alliés multiplient les attaques aériennes sur les nœuds de communication, routiers et ferroviaires.

© Nadège Druzkowski

L’imprécision du bombardement à haute altitude fait de nombreuses victimes civiles. Des traces du bombardement sont visibles dans le paysage urbain lyonnais, comme sur le mur SNCF avenue Berthelot ou dans le cimetière de la Guillotière où des tombes en portent encore les stigmates.


Lyon 3e
La pyramide de verre de la tour Part-Dieu

La pyramide de métal et de verre au sommet de la tour, qui lui a valu son nom de “Crayon”, a été dessinée par l’architecte et ingénieur franco-polonais Stéphane du Château, spécialiste des structures tridimensionnelles. Haute de 23 mètres, elle ressemble à la fameuse pyramide du Louvre, de Ieoh Ming Pei ! Pas entièrement un hasard… Selon Charles Delfante, concepteur de la Part-Dieu, c’était l’architecte sino-américain qui devait réaliser la tour. “Mais vexé par l’attitude des investisseurs à la Défense [il construisait alors la tour EDF, à Paris, NdlR] et trop occupé, il nous délégua Araldo Cossutta, un de ses ‘partners’.”


Lyon 2e
Les jardins suspendus de Perrache

© Nadège Druzkowski

C’est l’un des jardins méconnus lyonnais… Le centre d’échanges de Perrache cache à son sommet deux grands toits-terrasses, aujourd’hui gérés en jardin collectif, respectivement par la MJC Perrache et l’association Les Jardins Suspendus. Mais dès sa naissance, le très controversé centre d’échanges de Perrache accueillait déjà deux terrasses ouvertes au public, faites d’espaces verts et d’aires de jeux, dessinés par Ariane et Bernard Vuarnesson. Au total, cette place haute totalise 12 000 m2 (soit près de deux stades de football).


Le connaissez-vous ?

© Nadège Druzkowski

Dans les années 1960-80, alors que la France modernise son habitat et ses bâtiments collectifs, Jean-Paul Delhumeau, alias Denis Morog, couvre les grands murs de béton de motifs figuratifs ou abstraits, en creux ou en relief. Il travaille avec les plus grands architectes comme Jacques Perrin-Fayolle ou Maurice Novarina. On lui doit notamment la grande fresque de l’évolution sur le campus de la Doua, à Villeurbanne, mais aussi les décors de la bibliothèque Part-Dieu, de l’hôpital Louis-Pradel ou ceux de la Maison de l’Orient.


Lyon 4e
Le jardin Rosa-Mir

© Nadège Druzkowski

Dans la même veine naïve du Palais idéal du facteur Cheval, la Croix-Rousse abrite un joli jardin secret. Doté de colonnes de pierres, rosaces, coquillages agrémentés de fleurs, ce surprenant jardin de 400 m2 est l’œuvre de Jules Senis Mir, un maçon carreleur, de la province de Valence, en Espagne, arrivé à Lyon en 1950. En 1952, atteint d’un cancer de la gorge, il passe trois ans à l’hôpital, où il fait le vœu de créer, s’il guérit, un jardin extraordinaire dédié à sa mère et à la Vierge. Il commence les travaux en 1957, l’essentiel sera achevé vingt ans plus tard. Il décède en 1983 à 70 ans. Les murs tapissés de pierres et les sculptures, tels ces arbres cactus, alternent les pierres dorées des monts du Lyonnais, le granit gris et rose ou encore le ballast de chemin de fer. Outre les palourdes, huîtres creuses et coquillages exotiques, on dénombre plus de 2 500 coquilles Saint-Jacques ! Jules Senis Mir se fournissait auprès des halles de Lyon et des restaurateurs de la Croix-Rousse.

Plus méconnu, Jules Senis Mir a également réalisé la façade du n° 7 de la rue d’Austerlitz, à la Croix-Rousse. La propriétaire de cet ancien café Germaine était une amie de Jules Senis. L’enseigne a changé mais la devanture ouvragée est toujours visible.


Lyon 3e
Le “Panier fleuri” : dernier témoignage d’une maison close

© Nadège Druzkowski

La loi d’inspiration abolitionniste, dite Marthe-Richard, du 13 avril 1946, impose la fermeture des maisons closes, devenues de véritables lieux d’enfermement. Lyon a six mois pour fermer ses maisons de passe, alors au nombre de trente-deux (dont vingt-six maisons de rendez-vous, sortes de bordels moins contrôlés où les prostituées n’étaient pas encartées et ne vivaient pas sur place). Au n° 9 de la rue de l’Épée, l’établissement le “Panier fleuri”, tenu par madame Georgette (aujourd’hui un club d’arts martiaux), est resté dans son jus. Un long couloir étroit mène à une coursive intérieure supérieure, toujours existante, qui permettait de plonger dans les décolletés des hôtesses… Sur la façade extérieure, le balcon, attenant aux appartements de la mère maquerelle, n’a pas changé depuis sa fermeture.


Lyon 8e
Abris antiatomiques de la Guerre froide

© CIL États-Unis

Reflets de la Guerre froide, opposant après 1945 le bloc soviétique aux Américains, et de la menace nucléaire, plusieurs abris antiatomiques sont construits à Lyon dans les années 1950. Ces bases souterraines, rudimentaires, capables d’héberger une cinquantaine de personnes, sont rapidement obsolètes. Dans le sillage des États-Unis, les Soviétiques maîtrisent dès 1953 la bombe à hydrogène (bombe H) à la puissance décuplée par rapport à la bombe A de Hiroshima. Deux abris en béton armé, enterrés à trois mètres dans le sol et dotés d’épaisses portes blindées de 25 centimètres, subsistent dans les quartiers Viviani et Laënnec.

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