Le conte de la princesse Kaguya - Kaguya-Hime

Le conte de la princesse Kaguya : une ode au vivant

Critique. Le réalisateur du Tombeau des Lucioles (1988), Isao Takahata, est de retour au cinéma : son dernier film, Le conte de la princesse Kaguya, sort en salles mercredi 25 juin. Une ode à la vie à ne manquer pour rien au monde.

Cela faisait déjà plus de dix ans qu’aucun film d’Isao Takahata n’était sorti sur les écrans, depuis Mes voisins les Yamada (1999) et Jours d’hiver (2003). Très attendu, Le conte de la princesse Kaguya, ne décevra pas. La nouvelle œuvre de l’un des grands maîtres de l’animation japonaise dépasse toutes les attentes : tout est beau, tant dans le dessin que dans l’histoire.

Le conte de la princesse Kaguya - Isao Takahata

L'adaptation d'un roman traditionnel du IXè siècle

Pour son dernier long-métrage, le réalisateur du Tombeau des Lucioles a choisi d’adapter un roman traditionnel japonais, Le coupeur de Bambous. Une jeune princesse en est l’héroïne : née dans une pousse de bambou, elle est recueillie par un couple de paysans, à la campagne. Elle y grandit plus vite que les autres de son âge, et devient une jeune femme à la beauté extraordinaire. L’amour que lui porte son père adoptif pousse ce dernier à faire d’elle une princesse respectée, et bien mariée. C’est à cette fin que la petite famille s’en va vivre à la capitale : elle devra rester dans sa cage dorée jusqu’à trouver un prétendant digne d’elle. Cinq se présenteront à elle. Mais la princesse Kaguya les refusera un par un, rêvant de liberté.

Une impression de vivant

Le conte de la princesse Kaguya - Isao Takahata - enfant

L’histoire est simple, et même trop peut-être : les mots paraissent vains et impuissants pour décrire un film d’une telle force. Car la mise en scène d’Isao Takahata est superbe : le réalisateur a su utiliser ses travaux sur la peinture pour créer des dessins en 2D, proches des estampes japonaises. Les couleurs, les tracés et les sons… tout est pensé pour donner une impression de "vivant". Dans la première partie du film par exemple, les traits au fusain sont souples, les couleurs vives : les bambous craquent sous les coups des hachettes, les oiseaux chantent dans la clairière. La vie à la campagne est simple, rythmée par la nature et le travail quotidien.

Lorsque la jeune princesse part pour la capitale, les tons se font pastels, plus pâles. Quand elle rêve de s’échapper du banquet célébrant son passage à l’âge adulte, les traits deviennent très noirs, très épais, très durs. Ils s’animent aussi plus vite, et les couleurs se font plus sombres. Au contraire, elles deviennent blanches lorsque la princesse Kaguya se retrouve allongée dans la neige, loin des courtisans, épuisée. La colère vient de retomber, alors que, dans sa course, elle s’est débarrassée de ses kimonos et du poids des codes de sa société.

Le conte de la princesse Kaguya - Kaguya en fuite

Isao Takahata justifie ces choix graphiques : lui et son équipe ont voulu "insister sur l’énergie, le vivant". Dans une interview réalisée le mercredi 12 juin, il explique : "Le fait de pouvoir jouer sur des lignes brisées, plus ou moins épaisses, nous apporte une forme de vie". Et c’est réussi. Le conte de la princesse Kaguya est un film de 2h30 qui anime la vie et la rend réelle. L’animation sert l’histoire du mieux possible : on retrouve les thèmes chers à Takahata comme l’opposition entre ruralité et urbanité, modernité et tradition. La vie à la campagne est simple, pleine de rires, et s’oppose aux codes trop stricts qui régissent la ville. Kaguya et sa mère construisent d’ailleurs une réplique de leur maison à l’intérieur de leur nouveau palais, nostalgiques de leur vie d’avant, plus pauvre mais plus joyeuse.

Le conte de la princesse Kaguya - Isao Takahata - les prétendants

À travers les figures du père et des cinq prétendants, Takahata aborde aussi la question des rapports hommes/femmes dans la société japonaise. L’amour paternel pousse le premier à imposer à sa fille sa vision du bonheur – atteindre un rang social via le mariage – tandis que l’orgueil des seconds les conduit aux actions les plus absurdes : les prétendants vont mentir ou mourir dans le seul but de conquérir le cœur de la princesse.

On ressort de la projection bouleversé, mélancolique. Il faut un certain temps avant de se réhabituer à la "vie normale". Mais une chose est sûre : le temps d’un film, on a rit – l’humour est en effet très présent – mais aussi pleuré, admiré, écouté, et ressenti avec les personnages. Le conte de la princesse Kaguya propose au spectateur une expérience de sens : le vivant est beau parce qu’imparfait, parce que rempli de hauts et de bas, de joies et de tristesses.

[Attention spoiler]

La princesse Kaguya vit le temps d’une jeunesse sur la planète Terre : ce n’est pour elle qu’une excursion rapide, avant de retourner sur la Lune, d’où elle vient. On ne sait pas vraiment si la jeune femme rend visite aux humains suite à une sanction de ses pairs, ou par simple envie de découvrir la vie terrestre. Une chose est sûre toutefois : elle repart en ayant vécu, une larme à l’œil. L’une des phrases finales résonnent en nous : "Tout ce qui vit sur Terre est chargé de nuances".

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