L’immigration clandestine en Europe, tel est le sujet coup de poing du Dragon d’or de Roland Schimmelpfennig. La metteure en scène Claudia Stavisky, directrice du théâtre des Célestins, plonge dans ce texte difficile, créé pour la première fois sur les scènes françaises.
Le Dragon d’or est « une provocation contre le théâtre » nous avait prévenus, il y a quelques semaines, Thibault Vinçon, l’un des cinq comédiens choisis par Claudia Stavisky pour interpréter l’ovni théâtral du dramaturge allemand Roland Schimmelpfennig. Quelque-part en Europe, un jeune chinois souffre d’un terrible mal de dent au fond d’une cuisine d’un restaurant thaï. À l’étage du dessus, un vieil homme aspire à accomplir son rêve mais ne le peut pas… Deux hôtesses de l’air, dînant dans le restaurant asiatique, trouvent une dent dans l’une de leurs soupes. Un couple se déchire. Et une cigale demande de l’aide à une fourmi qui la fera danser et bien plus encore… Ce sont des tranches de vie que superpose Roland Schimmelpfennig, brossant poétiquement le portrait de notre société. La dramaturgie et la théâtralité en deviennent infiniment complexes à gérer sur scène, en effet cinq comédiens incarnent dix-sept personnages.
La réinvention de la théâtralité
Claudia Stavisky a opté pour un décor en hauteur, elle a choisi de rendre visibles les différentes couches du récit avec une imposante structure en étages. Escaliers, trappes et plateau tournant permettent de naviguer habilement avec l’étrange temporalité des histoires qui s’empilent en décalé, ces procédés créent une belle circulation des énergies. Les comédiens se livrent alors à un gigantesque ballet, proche de la danse contemporaine -certains déplacements ont été chorégraphiés par Mourad Merzouki et Kader Belmoktar-, qui joue sur ces notions de montée et de descente au sein de ce décor métallique d’une grande beauté. Costumes noirs, scénographie épurée, rien ne vient parasiter le texte que la metteure en scène parvient à rendre accessible bien qu’il se joue des codes de la théâtralité habituels : les didascalies se mêlent aux répliques et l’œuvre s’articule autour de la déclamation de plats d’une carte de restaurant asiatique. La musique omniprésente apporte un souffle qui rend l’ensemble quelque peu hypnotique avec d’étranges moments en suspension sur la musique d’Arvo Pärt. Les comédiens servent tous les personnages qu’ils incarnent avec grâce et parviennent à faire émerger un sens qui finalement s’avère plus centré sur l’humain que sur le politique. Si le Dragon d’or demeure une œuvre inclassable, décidément difficile à jouer, la metteure en scène surprend en insufflant une captivante abstraction dans sa mise en scène, elle parvient à conduire le spectateur dans un espace aux frontières du rêve, et trouve ainsi une clef originale et inattendue d’interprétation au texte.
Le Dragon d’or, jusqu’au 7 avril au Théâtre des Célestins. www.celestins-lyon.org