Le prix Goncourt 2017 a été décerné ce lundi midi à un texte court intitulé L’Ordre du jour, qui met en lumière les mécaniques totalitaires. Son auteur, Éric Vuillard, est un écrivain (et cinéaste) né à Lyon en mai 68, souvent invité dans les librairies et les festivals de littérature lyonnais (à Bron et aux Assises cette année), qui fut aussi distingué en 2012 par le prix franco-allemand Franz-Hessel (codirigé par la Villa Gillet) pour La Bataille d’Occident... et figurait déjà dans les listes du Goncourt en 2014.
“Vingt-quatre machines à calculer aux portes de l’enfer”
Nous republions ci-dessous la critique de L’Ordre du jour par Kevin Muscat, parue dans Lyon Capitale n°768 (juillet-août 2017)
“Raconter ce qui n’est pas écrit”, voilà le credo d’Éric Vuillard. Retrousser l’histoire des vainqueurs en l’espionnant par là-même où elle se dérobe au regard. Quelques mois seulement après son 14 Juillet, qui racontait, comme son titre l’indique, la plus célèbre journée de la révolution française (peut-être même de l’histoire de France) du point de vue du peuple, au cœur de l’insurrection, tissant des parallèles invisibles et pourtant inévitables avec notre époque, le revoici avec L’Ordre du jour. Là, on assiste dans le secret des boudoirs au pacte faustien entre les grandes entreprises allemandes (qui ont encore pignon sur rue aujourd’hui) et le régime nazi. Ainsi que les manœuvres d’Hitler pour annexer l’Autriche en donnant l’impression d’une visite amicale à deux doigts de capoter pour cause de panne de moteur. Deux événements nourris de cynisme et de compromission, comme la gangrène se nourrit de la bactérie, qui conduiront à asseoir Hitler et à précipiter la guerre, dans un climat d’indifférence et de veulerie, grâce auxquels Vuillard démontre, démonte les mécanismes insidieux favorisant l’installation d’un régime autoritaire. Tout en interrogeant, des décennies plus tard, d’une certaine façon notre propre compromission. Ainsi quand il écrit : “Ils s’appellent BASF, Bayer, Agfa, Opel, IG Farben, Siemens, Allianz, Telefunken. Sous ces noms, nous les connaissons. Nous les connaissons même très bien. Ils sont là, parmi nous, entre nous. Ils sont nos voitures, nos machines à laver, nos produits d’entretien, nos radios-réveils, l’assurance de notre maison, la pile de notre montre (...) Et les vingt-quatre bonshommes présents au palais du président du Reichstag, ce 20 février, ne sont rien d’autre que leurs mandataires, le clergé de la grande industrie ; ce sont les prêtres du Ptah. Et ils se tiennent là impassibles, comme vingt-quatre machines à calculer aux portes de l’enfer.” Ne sommes-nous pas davantage coupables d’ignorance que nos aïeux ?