TRIBUNE LIBRE. La "rentrée culturelle" de la mairie de Lyon se déroulera le jeudi 5 septembre aux Subsistances, 18 ans après leur inauguration en février 2001. Denis Trouxe, l'adjoint à la culture de Raymond Barre qui est à l'origine de la création de ce lieu dédié à la culture vivante, saisit l'occasion de raconter les coulisses d’une naissance qui faillit avorter.
Mars 1997. La réunion des adjoints de la majorité avait été très mauvaise pour moi. Fallait prendre une décision importante : oui ou non pour le projet des Subsistances. Le non se profilait à grande vitesse. Je n'avais que quelques soutiens, très loin de la majorité. Malgré toutes les études, je sens que le projet s'échappe. Au fil des oppositions diplomatiquement exprimées, la déprime monte en moi. Le vote va être négatif. J'éclate. "Il n'y a rien à faire. Cette ville ne veut encourager que la culture typiquement institutionnelle... pour les bourgeois". Raymond Barre se fâche presque tout rouge, tout fort. "Je suis peut être un bourgeois..." Suit un chapelet d'arguments sans doute très intelligents… que je suis incapable d'entendre tellement je suis déprimé, écrasé par son art de la parole dont chacun sait que c'était sa grande force. Je finis la réunion en loques.
Vers 21 h, chez moi, en plein désespoir devant une bouteille de Saint Joseph, coup de fil. C'est le directeur de son cabinet : "Monsieur Barre n'aime pas ce qui s'est passé. Il regrette le ton de ce conflit. Il veut se faire une idée personnelle sur ton projet. Il souhaite te voir demain à neuf heures aux Subsistances mais... sans les conseillers. Rien que vous deux". L'espoir revient. Je finis la bouteille.
Le duel
En ce matin brumeux de mars 1997, je me souviendrai longtemps des images folles que m'inspirait cette immense caserne déserte. Armés de pistolets, nous allions compter quinze pas en nous écartant l'un de l'autre. On se retournerait et pan ! L'un de nous deux ne devrait pas se relever (Scène du duel dans Barry Lindon de Stanley Kubrick). Mais Barre est avenant, sympa. On se serre la main. "Expliquez moi votre projet Monsieur Trouxe". La visite va durer 2 h. Quelques perles méritent d'être relevées. Les conseillers sont à cinquante mètres, dont le mien, Thierry Dahan. Sans lui, je ne serais pas arrivé au bout. Complètement acquis aux Subs telles que je les voyais, ce jeune énarque était allé jusqu'à se mettre en pleine opposition, contre Raymond Barre, contre le chef de l'administration, lequel avait soumis au Maire un projet concurrent minable, qui avait mobilisé les services techniques de la mairie, dans lequel il exterminait les trois quarts des bâtiments pour le plus grand profit de promotions immobilières diverses. On l'a échappé belle ! Thierry a été un grand allié.
Faut faire tomber
On commence la visite tous les deux avec description et coût du projet tel qu'il sera. Je vous en fait grâce et je ne vous réserve que quelques perles qui influencèrent la création des Subs. Des péripéties que personne ne connaît, au point que l'on pourrait croire qu'en politique, il suffit d'avoir une idée pour qu'elle se réalise tranquillement dans l'union générale. Or, ces péripéties sont très intéressantes, elles forment le making-of d'un film. Parmi les bâtiments principaux, il y en avait deux, désignés sous le nom de moulins, entièrement noircis par les émanations des différents fours qu'ils abritaient pour torréfier le café, faire le pain... La fumée ayant eu l'habitude de s'échapper par les fenêtres du temps des truffions, leurs façades sur quatre étages étaient noires de chez noir. Barre se retourne et me dit avec cette voix calme, professorale et précieuse à la fois, bases de son art de la parole : "Il faut faire tomber ces bâtiments". J'argumente mon opposition : "Mais il s'agit de 6000 m2 en moins pour la culture !". "Je regrette Monsieur Trouxe, ils sont ignobles. Il faut les supprimer".
Même scène devant les passerelles qui unissent les bâtiments. J'ai beau argumenter qu'il s'agit de chefs d'œuvres de l'architecture industrielle du XIXème siècle, il reste inébranlable. "Il faut les faire tomber, elles sont ignobles". Il m'annonce tout cela avec une grande gentillesse, en s'excusant presque de me contrarier. Le même cinéma se reproduira sur le mur d’enceinte, la cour intérieure qu’il voulait en vrai parc boisé...
“ON” a eu raison
Mais, j'avais un plan B. Dans la journée, j'alerte la direction des monuments historiques de la DRAC, laquelle met son véto et interdit la démolition. C'était logique, les Subs sont protégées par les monuments historiques et... j'étais également l'adjoint au patrimoine de la Ville de Lyon, j'avais une double délégation, donc je défendais ce patrimoine contre la décision du Maire. Voyez l’ambiance. On me rapporta la réaction de Barre, pas content : "C'est un coup de Trouxe !"
Cette dernière expression vaut une projection dans le futur en février 2001. On inaugure les Subs. J'accompagne Raymond Barre. La rénovation est une réussite. Les moulins qui devaient disparaître sont là, splendides. Le maire se retourne et me dit, toujours de cette voix calme et professorale : "On a eu raison de ne pas les faire tomber". Ah ce ON ! ON, c'était moi. Il me le faisait comprendre par un sourire malicieux et complice. Mais ce ON l'impliquait aussi comme décideur devant la cohorte qui nous accompagnait. J’ai apprécié cette reconnaissance.
"Pas aussi ringard"
Revenons à mars 1997, lorsque les jeux n'étaient pas faits. La visite se termine après 2 h de cheminements et d'exposés. Nous sommes tous les deux sous la grande verrière. Moment grave. "Monsieur Trouxe. Vous savez qu'il y a d'autres projets concurrents dans diverses activités sur le site des Subsistances ? Cela dit, compte tenu de mes remarques, je vous donne mon accord". Ce fut aussi sobre que cela. Mais la meilleure, la voici. Il rajoute : "Mais vous direz à vos amis de Lyon Capitale * que je ne suis pas aussi ringard que ça".
Denis Trouxe ex-adjoint à la Culture et au Patrimoine de la ville de Lyon
*Lyon cap avait beaucoup soutenu mon projet des Subsistances. Le ton atteignait souvent la polémique, on ne s'est pas fait des amis. Ça bardait. Sans le journal, c'eut été plus difficile, sans Thierry Dahan également. Merci à ces compagnons de route... et merci à feu Raymond Barre d’avoir opter pour les Subs.
Et cet ex adjoint à la culture ignore la différence entre un participe passé et un infinitif? dernière ligne "d'avoir opter pour les Subs" (sic!)