Une salle mythique que les moins de quarante ans n’ont pas pu connaître, un lieu de la vie nocturne lyonnaise qui a accueilli Ray Charles, les Beatles, les Stones… Un palais aujourd’hui oublié, dont la fin de vie fut marquée à plusieurs reprises par la tragédie. Histoire du Palais d’Hiver, le plus grand music-hall d’Europe.
Jusqu'au 21 septembre, la bibliothèque de Lyon Part-Dieu propose une exposition sur "Lyon Capitale du rock - 1978 - 1983". Un titre, en grande partie obtenue grâce à la salle du Palais d'Hiver, "plus grand music-hall d'Europe".
Tout commença les pieds dans l’eau. Avant le Palais d’Hiver, le bâtiment situé non loin du parc de la Tête-d’Or, à Villeurbanne, était… une piscine. C’est même la première de Lyon, inaugurée le 2 février 1908. L’établissement est privé, lancé par l’industriel Delange qui espère voir les Lyonnais succomber à cette nouveauté. La mode dure un temps, portée par les thèses hygiénistes de l’époque, qui encouragent la pratique du sport. Quand une mode faiblit, une autre prend sa place. En 1914, les propriétaires ajoutent une patinoire sur glace, et une pour les patins à roulettes. Les Lyonnais n’auront pas le temps d’en profiter, la guerre met fin aux affaires. Les lieux sont transformés en hôpital provisoire. En 1920, la piscine/patinoire est vendue aux frères Lamour, des restaurateurs qui veulent en faire une salle de bal. Tout est largement réaménagé dans ce sens. Nouvelle histoire, nouveau nom. Le Palais d’Hiver ouvre le 19 octobre 1920.
Lyon et la fièvre de la danse
À l’origine, c’est une salle dédiée à la danse en couple, où se croise le tout-Lyon, des politiques aux bandits. Tango, valse, jazz, la piste construite au-dessus de l’ancienne piscine ne bronche pas, jusqu’à l’arrivée du charleston. En 1925, sous les pas endiablés des danseurs, elle s’affaisse de cinq centimètres. Le Palais d’Hiver navigue alors entre légèreté et bals plus classiques avec robes de gala et smokings, mais aussi réunion politique : en 1936, le Parti communiste y organise son 8e congrès, avec André Malraux et Maurice Thorez. Entretemps, une annexe est ouverte à côté : le Lido, avec ses danseuses en petite tenue qui affriolent les Lyonnais. Une autre guerre va changer la donne. À leur arrivée à Lyon, les Nazis réquisitionnent le Palais d’Hiver. En 1943, la milice du Rhône y tient son assemblée constitutive, en présence de 2 000 personnes. Quelques Lyonnais reviennent danser régulièrement durant l’occupation, mais le cœur n’y est plus. À la Libération, nouvelle réquisition, cette fois par les Américains. Les Lyonnais pourront de nouveau en profiter en 1946.
La danse y tient toujours un rôle important, non sans incidents parfois. En 1957, la retransmission de l’émission de télévision 36 chandelles manque ainsi de tourner à l’émeute à cause de l’excitation populaire et du non-respect du placement par certains. Un an plus tard, on craint des morts avec la mode des marathons de danse où les participants mettent leur vie en danger (un couple tient plus de 506 heures). Pour éviter le pire, les autorités décident d’interdire ces concours. Quarante ans après son ouverture, le Palais d’Hiver a déjà écrit sa légende, traversant deux guerres sans abdiquer ; mais une seule nuit suffira à le réduire en cendres.
Le Palais d’Hiver est mort, vive le Palais d’Hiver
Dans la nuit du 7 au 8 octobre 1962, le Palais d’Hiver brûle. Il ne reste plus rien, si ce n’est la piscine des débuts qui apparaît en plein jour telle une cicatrice béante sur le boulevard Stalingrad. Règlement de comptes, racket ? Les rumeurs fusent. Au final, c’est la thèse de l’accident qui est retenue. On pense que le Palais d’Hiver ne se relèvera pas de ses cendres. C’est mal connaître Roger Lamour, fils du créateur du premier Palais d’Hiver, qui souhaite perpétuer l’héritage familial. Il ne laissera pas la salle disparaître des esprits ; il lance de nouveaux travaux. Son objectif est clair : en faire le plus grand music-hall d’Europe – 3 200 m2, 4 000 places, la climatisation. Un an plus tard, le nouveau Palais est inauguré par la voix de Gilbert Bécaud. Une nouvelle ère commence, celle des artistes internationaux qui vont forger une nouvelle légende pour la salle.
Les Beatles et les Stones affolent la ville
Les idoles françaises des sixties chassent progressivement les bals à papa. Dalida, Charles Aznavour, Johnny, Claude François, Sheila, Eddy Mitchell mettent tous le Palais d’Hiver au programme de leurs tournées. Autant d’artistes que d’anecdotes. Les jeunes filles hurlent, les sièges volent. C’est l’époque où les disques vinyles se vendent encore par millions. La presse se fait l’écho des concerts où la salle finit dans un état déplorable, obligeant les propriétaires à tout faire refaire. Roger Lamour prend Mario Gurrieri comme photographe officiel, il immortalisera toutes les soirées. Qu’importe la casse ou les menaces de charges de CRS, les recettes suivent, et même les artistes internationaux se bousculent au Palais d’Hiver, tel Chuck Berry en février 1965 : la soirée est folle, les corps en transe. Mais ce n’est rien comparé à ce que vont déclencher quatre garçons dans le vent venus d’Angleterre. Quelques semaines après Chuck Berry, les Beatles sont en effet à Lyon. Ils voulaient arriver au Palais d’Hiver en Rolls, mais la foule est si dense qu’ils doivent faire le trajet en camion cellulaire pour leur sécurité. Pas de casse dans la salle, les CRS ont veillé toute la soirée. En mars 1966, c’est au tour des Rolling Stones. Mick Jagger ne quitte pas ses lunettes de soleil de tout le concert, la veille à Marseille il s’est blessé à l’œil. Antoine laisse un souvenir plus douloureux aux propriétaires : plus de 1 500 sièges (sur 2 000) sont brisés. Il faudra plusieurs jours pour remettre le Palais en état. C’est aussi l’époque où le Lido est transformé en club privé et rebaptisé West Side, qui sera le berceau des Mods lyonnais. Dans les années 1970-1980, le Palais d’Hiver prend des allures rock avec Iggy Pop, Joe Cocker, Téléphone, les Who et les Clash. Mais la chanson française fait de la résistance. Jacques Brel y donne en 1975 l’un de ses ultimes concerts lors de sa tournée d’adieu. En 1981, la salle cède à la mode du hip-hop avec les New-Yorkais The Sugarhill Gang, petite révolution à Lyon face à une salle peuplée de perfecto-santiags. Paul Young est l’un des derniers à fouler la scène, en 1985. Le Palais d’Hiver est en pleine crise et va bientôt fermer.
La fin
Il y a les légendes, les souvenirs des Lyonnais, mais aussi les tragédies. En octobre 1974, Roger Lamour, celui qui a relancé le Palais d’Hiver, est retrouvé mort, une balle dans la tête. Il s’est suicidé. Pour l’historien Gérard Corneloup, il était dépressif, "pris à la gorge financièrement, ayant un peu trop puisé dans les caisses*". Son fils Pierre-Yves prend la suite à sa majorité. Les comptes ne vont pas mieux, les huissiers tapent à la porte. En 1981, Pierre-Yves Lamour meurt dans un accident de voiture. The show must go on, le concert d’Eddy Mitchell prévu ce soir-là est maintenu. Mais le Palais d’Hiver peine à survivre à la disparition des Lamour père et fils ; les finances se creusent encore, jusqu’à l’inéluctable. Le dépôt de bilan arrive. Pierre Peyroche, un amoureux du Palais d’Hiver, serveur (en 1959) devenu responsable du personnel, tente de le sauver, mais l’inertie est trop forte. Le 28 mai 1985, la salle est fermée. Un espoir encore : le Palais d’Hiver pourrait être repris par la ville de Villeurbanne pour en faire un Zénith. Mais rien de tel n’arrivera, pas même une inscription du bâtiment à l’inventaire des Monuments historiques. Les lieux sont revendus, le Palais d’Hiver est rasé sans une manifestation ni une larme. Aujourd’hui, il n’en reste qu’une plaque sur l’immeuble construit à sa place, et pas mal de souvenirs dans l’esprit des Lyonnais de plus de quarante ans. Ainsi meurent les légendes.
* In Dictionnaire historique de Lyon, Éditions lyonnaises d’art et d’histoire, 2009.
Avant sa fermeture, années 80 à 90; le Palais d'Hiver avait eu de belles soirées punk, rock, pogo, trash et l'ambiance était endiablée, sans pétard ni stupéfiants !