Léa Drucker : "Blackbird ne fait pas l'apologie de la pédophilie"

Entretien avec l'actrice Léa Drucker, qui a découvert cette pièce et l'interprète aux côtés de Maurice Bénichou.

Lyon Capitale : Vous avez assuré l'adaptation de Blackbird qui n'a encore jamais été jouée en France. Comment avez-vous découvert ce texte ?
Léa Drucker : C'est mister Bean qui m'a fait découvrir cette pièce ! Je faisais des essais avec lui à Londres et il m'a conseillé d'aller voir cette pièce qu'il avait trouvé magnifique. La pièce m'a bouleversée. Je suis rentrée à Paris et j'ai demandé à mon agent s'il était possible de prendre les droits. Les éditions de l'Arche m'ont soutenue et confié l'adaptation française. Je l'ai faite avec Zabou Breitman, enfin surtout elle ! C'est Zabou qui a fait tout le travail d'auteur.

Qu'est-ce qui vous a séduite ?
J'ai adoré la manière dont le sujet est traité. J'y ai vu une histoire d'amour tragique moderne. L'histoire de cet homme de 60 ans qui vingt ans plus tôt a fait quelque chose que la société réprouve, et à juste titre, puisqu'il a couché avec une gamine de 12 ans, m'a interpelée. La gamine était très amoureuse de lui, elle s'était offerte à lui et lui n'a pas su résister. Fou amoureux d'elle, il a fait l'erreur la plus terrible de sa vie. Il a commis un acte de pédophilie et ça ne s'est produit qu'une seule fois. Il a cédé à quelque chose de terrible, et il est rongé par la culpabilité et le remords.

Le fait que la pièce évoque un acte de pédophilie ne vous a-t-il pas rebutée ?
La pièce ne fait pas l'apologie de ce genre de rapports. Elle n'est pas sale, provocatrice, ambiguë ou perverse. Ce n'est pas Lolita, même si j'adore Lolita, le livre comme le film ! Elle ne dit pas "ils s'aimaient donc ce n'est pas grave", à aucun moment elle ne dédouane l'homme de son geste. Sinon, je ne l'aurais pas joué. C'est l'histoire de deux rescapés d'une histoire d'amour terrible qui les a détruits tous les deux. Est-ce qu'une gamine de 12 ans peut aimer un homme de 40 ans ? La justice, la société, estiment que non. Moi aussi sans doute. Mais il ne s'agit pas de juger, juste de voir ces deux personnages évoluer dans cette soudaine confrontation.

Comment voyez-vous votre personnage ?
Je suis très touchée par cette femme qui cherche à se reconstruire mais remet les doigts dans la prise. Car vingt ans plus tard, elle le retrouve. Elle est très en colère car elle a cru qu'il l'aimait mais elle a grandi avec l'idée qu'il avait abusé d'elle. Lui n'est ni un monstre ni un héros, juste un être humain qui a fait quelque chose de terrible. Je suis ravie que Maurice Bénichou interprète ce rôle ; c'est un acteur merveilleux, émouvant, rare avec qui j'apprends beaucoup. Son personnage a payé sa dette, puisqu'il a passé six ans en prison, et a refait sa vie. Cette jeune femme est un fantôme surgi du passé auquel il ne voudrait pas être confronté. Mais en même temps... Ils se sont aimés, et peut-être s'aiment-ils encore ?

Que pensez-vous de l'écriture de David Harrower ; est-ce un texte difficile à incarner ?
C'est un auteur extraordinaire, pas du tout sulfureux ou racoleur, mais un grand auteur joué dans les grands théâtres, lauréat des prix les plus prestigieux ! Son écriture est magnifique, très concrète. C'est un descendant de Beckett ! Tout est dans le travail sur les mots, le langage. Ce sont deux personnes simples qui ont du mal à s'exprimer, qui ont des obsessions, des pensées parallèles. Comme dans la vie, c'est très réaliste, très concret, très brut. Du coup, c'est plus difficile à interpréter. Car pour nous, acteurs, c'est plus facile d'apprendre Shakespeare, la musique, les images de cette langue, que ces mots d'aujourd'hui tout simples, plein d'hésitations, d'incertitude. Mais l'ampleur émotionnelle est telle que c'est un régal à jouer.

Comment avez-vous rencontré Claudia Stavisky et comment vous dirige-t-elle ?
Claudia Stavisky a adoré le texte, elle a appelé l'Arche qui nous a mis en contact. On travaille en complicité, très progressivement, ça évolue beaucoup. J'ai commencé par jouer quelqu'un de très en colère, très cynique, parce que c'est moi. Mais elle a m'a adroitement amenée sur quelque chose de plus éprouvé, plus fragile, plus imprévisible. Son travail est précis, fin, sensible. Elle a épuré beaucoup la mise en scène qui relève surtout de la direction d'acteurs.

Vous apparaissez dans de nombreux films. Quelle est votre actualité, théâtrale et cinématographique ?
J'ai deux films qui vont sortir le Coluche d'Antoine de Caunes et un premier film qui s'appelle Le bruit des gens autour, qui se passe pendant le festival d'Avignon. La saison prochaine, je pars en tournée avec Le système Ribadier, une pièce de Feydeau avec Bruno Solo sur laquelle je me suis éclatée, et avec Blackbird. On m'a proposé de mettre en scène Partenaire de David Mamet mais je n'ai pas encore trouvé de théâtre. Enfin, je tourne en juin avec Elie Semoun et Catherine Deneuve, Merki, le premier film de David Charhon.

Vous sentez-vous appartenir à une famille d'acteurs ?
Je me suis très bien entendue et retrouvée dans Zabou. On a un peu le même parcours, touche à tout. J'aime beaucoup les acteurs comiques : Edouard Baer est un de ceux qui m'inspirent le plus. Je peux citer aussi Karin Viard et Marina Foïs, je les aime beaucoup comme personnes et comme actrices ; elles sont capables d'être à la fois très drôles et poignantes. J'aime beaucoup aussi Jérémy Régnier, Louis Garrel, Alain Chabat...

J'adore des films comme Darjeeling, les univers décalés qui naviguent entre humour et mélancolie. J'ai adoré Les Ch'tis que j'ai trouvé plein de tendresse. Je n'aime pas du tout quand on veut me faire rigoler aux forceps.

Blackbird de David Harrover, mise en scène de Claudia Stavisky, avec Léa Drucker et Maurice Bénichou. Du 29 avril au 24 mai au théâtre Les Célestins, Lyon 2e. 04 72 77 40 00.
www.celestins-lyon.org

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