Entretien avec cette extraordinaire artiste anglo-iranienne, en concert à la Plateforme, le 22 février prochain.
Lyon Capitale: Vous êtes musicienne, DJ, productrice, arrangeuse et on vous affilie à la génération d'or des auteurs compositeurs anglais. Vous même avez dit de votre travail qu'il était du niveau de celui de Kate Bush, mais sans les tubes pour le justifier...
Leila Arab : Oui, c'est vrai, j'ai pu dire ça, et j'en ai honte maintenant. On me compare souvent à elle parce qu'elle est aussi une artiste polyvalente et technicienne. Mais mon parcours est différent. J'aime excessivement la musique, depuis toute petite mais je n'avais jamais prévu d'en faire mon job. Je jouais du piano, surtout pour moi-même. Puis je me suis inscrite à une audition que je n'envisageais pas sérieusement et que j'ai finalement décrochée. Durant toute cette " ascension ", je n'ai jamais considéré l'idée d'une carrière, je me sens simplement chanceuse de pouvoir faire ma propre musique et de collaborer avec des amis que j'aime, c'est une bénédiction. Mais ce n'est pas une carrière, je ne suis pas assez organisée pour cela.
Vous avez été la collaboratrice la plus proche de Björk. Elle est connue pour être une artiste exigeante et stricte, est-ce vrai ou est-ce une simple légende ?
Non, ce n'est pas une artiste exigeante, elle a un bon karma. Si elle est difficile, c'est surtout envers elle-même. C'est une artiste " pure " qui se livre à la musique, elle nous pousse sans arrêt à dépasser nos propres limites. Je ne travaille plus directement avec elle mais je la côtoie toujours. Il va falloir entretenir cette relation qui est la plus créative que je connaisse. Avec Björk, je travaillerais sur n'importe quoi.
Vous avez travaillé avec d'autres artistes européens comme Aphex Twins ou Martina Topley Bird. Qu'avez-vous appris d'eux ?
Richard (Aphex Twin, NDLR) est très consciencieux dans son travail, il travaille toujours très dur et se motive sans cesse à se dépasser. Moi je suis très paresseuse, son perfectionnisme me fait culpabiliser. Mais c'est un réel plaisir de travailler avec lui, tout le monde parle de sa musique. Richard est un ami de longue date, je ne connaissais même pas sa musique au début.
Vous êtes arrivée à Londres avec votre famille, en 1979, pour fuir la révolution iranienne. Avez-vous conservé des souvenirs de votre enfance ? Etes-vous retournée en Iran ?
Non, jamais, mais je conserve beaucoup de souvenirs de ce pays et de mon enfance. Ma famille y vit encore. Je suis partie d'Iran à l'âge de huit ans mais je me sens iranienne, mon pays, c'est mon sang. Même dans ma musique, les mélodies, les émotions découlent de ma terre natale. Je ne retournerai jamais en Iran : mon père était un proche du Shah de l'époque et il avait juré qu'il ne retournerait plus en Iran. Cela m'a souvent rendu triste, mais par respect pour sa mémoire, je me tiendrai à sa volonté.
Que pensez-vous de la création artistique actuelle en Iran ?
Vous savez, l'Iran est souvent vue comme une terre pauvre peuplée de gens bêtes et alcooliques. Mais là-dessus, les anglais, alors ? (rires)
La vérité, c'est que l'Iran est une terre de culture depuis 200 ans. Je m'intéresse peu à la création là-bas, sûrement par déni. Mais je sais que la culture y est florissante depuis 30 ans, peut-être un jour m'y pencherais-je davantage.
Vous avez sorti votre troisième album, Blood, Looms and Blooms, (traduction: du sang, des métiers à tisser et des fleurs) il y a quelques mois. Cet album est bruyant et particulièrement onirique, ce qui est un peu votre marque de fabrique à présent. Dîtes-nous en plus sur votre univers et ce que vous aimez faire.
Mon univers n'a pas de limites. J'aime composer avec mes émotions, faire des choses toujours nouvelles, inédites. Avec la mort de mes parents, mon travail a été vraiment affecté. Mais bizarrement, cela m'a aidé à approfondir mon univers, à le rendre plus douloureux, plus sensible.
Blood, Looms And Blooms leur est d'ailleurs dédié...
J'ai très mal vécu la mort successive de mes deux parents. J'ai toujours été très proche d'eux. Depuis toute petite, ma famille était ce qu'il y avait de plus important. Après leur mort, plus rien n'avait d'importance, même la musique. La dépression nous rend apathique, mais il faut vouloir continuer. J'ai ainsi dû gérer mes émotions personnelles avec mon travail, car cet album était déjà en route.
Dans cet album, de nombreuses chansons (Lush Dolphins, Mollie, Carplos) ajoutent à votre univers une sonorité enfantine voire végétale. Cela peut faire penser à CocoRosie et Emilie Simon. Vous ont-elles inspiré pour et album ?
J'ai travaillé il y a quelques années avec Emilie Simon, je l'ai rencontrée pour un remix, c'est une artiste adorable, polyvalente, elle aussi. CocoRosie, je ne connais pas. De toute façon, je ne suis pas le genre de personne à avoir des modèles, je me laisserai trop influencée. Petite, j'étais quand même folle de Prince. Comme beaucoup (rires).
Vous collaborez aussi avec une variété de vocalistes comme Terry Hall, votre soeur Roya, votre ami Luca Santucci. Comment s'opère ce croisement d'univers musicaux ?
Je suis une fan de tous les genres musicaux. Ne faire qu'une chose est un mensonge, une imposture. Je ne me suis pas engagée à vie dans l'électro. Au fond de moi, je ne pense pas appartenir à ce genre unique. Grâce aux collaborations, on peut plus facilement explorer de nouvelles choses. Je suis amie avec Luca depuis 15 ans et je travaille avec lui tous les jours, je suis heureuse d'avoir de telles amitiés.
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