Le CHRD présente une exposition sur les premières manifestations de Leipzig qui menèrent à la réunification de l’Allemagne. Rencontre avec Elke Urban et Petra Löschke, deux témoins de ces événements qui ont changé le visage de l’Europe.
À l’occasion du 20e anniversaire de la chute du mur de Berlin, les événements commémoratifs se multiplient durant tout le mois de novembre, et c’est au Centre d’histoire, de la résistance et de la déportation (CHRD) qu’une exposition inédite est montée, baptisée “Nous sommes le peuple !”, d’après le slogan qui fut diffusé à Leipzig sur des milliers de tracts. Elle revient en images -il en existe assez peu- sur les premières manifestations populaires et pacifiques qui firent vaciller le régime autarcique et menèrent jusqu’à la chute du mur un mois plus tard, à Berlin, puis à la réunification, écrivant ainsi toute une page de l’histoire de la formation de l’Europe.
Elke Urban, conservatrice du musée des Écoles de Leipzig invitée par le CHRD, témoigne de ces journées extra-ordinaires, qui commencèrent dans l’église protestante Saint-Nicolas, avec des prières pacifistes. Petra Löschke, également actrice de ces manifestations et habitante de Leipzig, laïque quant à elle, francophone par chance pour nous, nous livre un second récit. Regards différés, et croisés.
Lyon Capitale : Les origines des manifestations d’octobre 1989 à Leipzig sont multiples, voire controversées.
Elke Urban : Tout a commencé par les prières de paix que l’on avait commencées à faire chaque lundi, d’abord dans l’église Saint-Nicolas, puis dans l’église Saint-Thomas. Ensuite on s’est réuni en périphérie de Leipzig. Il y a eu 4 000 personnes et le 9 octobre, on a eu la surprise de voir 70 000 personnes dans les rues. J’ai encore le tract qui fut imprimé en 25 000 exemplaires et distribué à l’église Saint-Thomas. Il disait “nous sommes un peuple”, et ce message qui rejetait la violence a été très important dans cette révolution. Pour nous, dès le 10 octobre, dès le lendemain, la RDA n’existait plus. Ce fut notre sentiment. Ce qu’il faut savoir, c’est que cela a vraiment été une révolution qui est née du peuple, pas des intellectuels ou des universitaires, des étudiants. Moi j’étais mère de cinq enfants, mon mari travaillait, on était tous dehors.
Petra Löschke : Je suis athée, et je n’ai donc jamais été dans l’église Saint-Nicolas prier avec les autres. En fait il y a eu une convergence de groupes de gens avec des intérêts différents. Le premier est en effet celui qui a travaillé dans l’église, ici, qui a été le point de départ. Mais je reste persuadée que si l’époque n’avait pas été prête, ce serait resté isolé. Une grande partie de la population n’était pas contente. C’est pourquoi ça s’est développé si vite. L’Allemagne était prête : certains voulaient avoir la possibilité de voyager, d’autres comme moi voulaient améliorer le socialisme, le réformer même, d’autres encore voulaient prendre part à la vie de l’Allemagne de l’Ouest, d’autres voulaient travailler à l’Est mais avoir un peu plus de confort, d’autres ne voulaient plus écouter la seule voix du chef du parti. Je ne sais plus comment on a tous pris la même direction, et comment on a atteint une telle vitesse. En tout cas le ras-le-bol était général, il a grossi encore et encore. À l’époque, j’avais des enfants, mon mari travaillait dans la recherche et moi auprès d’un conseiller municipal. Toutes les personnes qui ont marché travaillaient.
La ville de Berlin où le Mur est tombé le 9 novembre, et la ville de Leipzig qui a connu l’immense manifestation pacifique du 9 octobre, se disputeraient le rôle de lieu-symbole de la réunification.
Elke Urban : Il faut seulement raconter la vérité de ce qui s’est passé, transmettre cette histoire, interroger les révolutionnaires. On nous a construit un très beau monument à Leipzig, mais ce n’est vraiment pas ça l’important. On a aussi instauré une fête des Lumières, sur le modèle de la fête lyonnaise d’ailleurs.
Petra Löschke : Souvent, ce sont des gens qui n’ont jamais participé aux événements qui entretiennent cette querelle. La plupart des habitants de Leipzig ne se préoccupent pas de cela. Nous sommes plutôt tournés vers l’avenir. Malgré le fait que je sois athée et que je pense que la religion doit rester dans les lieux de culte, le plus beau monument pour moi est un pilier de l’église Saint-Nicolas qui a été sorti. Si on est à son pied et qu’on regarde vers le haut, on a l’impression qu’il porte le ciel. Pour moi, le fait que ce pilier ait été sorti de l’église, ça suffit, c’est un symbole extraordinaire.
20 ans après la chute, l’Allemagne réunifiée ressemble-t-elle à celle dont ont rêvé les “révolutionnaires pacifistes” ?
Elke Urban : Oui, pour moi, c’est sûr. Bien-sûr beaucoup de gens ne sont pas heureux aujourd’hui, certains sont même nostalgiques de la RDA. Mais c’est un danger d’oublier ce qui s’est passé, et de voir en rose cette histoire. J’ai un musée à Leipzig et je travaille pour la vérité et pour la démocratie, et surtout j’ai toutes les possibilités pour le faire.
Petra Löschke : On a beaucoup gagné, c’est vrai. Mais surtout, malheureusement, on n’a pas perdu les principes organisationnels politiques. Je m’explique : avant, c’étaient les chefs du parti qui avaient des gardes du corps, des dossiers, et maintenant c’est Angela Merkel. Je ne veux pas dire qu’ils ne sont pas utiles, mais des lignes les séparent toujours des gens. Il y a toujours des sujets dont on ne peut pas parler. À l’époque, c’était ce qui concernait l’Union soviétique, et maintenant c’est, par exemple, le fait de dire que je n’aime pas voir des femmes porter la burqa. Avant, j’avais besoin d’argent si je voulais un peu de luxe, aujourd’hui j’en ai besoin pour donner une éducation convenable à ma fille. Les problèmes sont différents, l’Allemagne est
désormais un pays riche, les frontières sont ouvertes, mais j’ai l’impression que le cheminement est le même. Je pense qu’on n’a pas terminé la révolution, ou alors on l’a terminée trop tôt. Il faut toujours garder l’esprit ouvert, et se dire qu’il est possible de faire une révolution.