Les artistes soignent leurs cachets

Pour les professionnels, à ce rythme, on fonce droit dans le mur... du son.

Entre 55 et 77 euros la place pour voir et écouter Neil Young, le 25 juin à la Halle Tony Garnier, entre 56,5 et 67,5 euros pour les barbus de ZZ Top, le 8 juillet au même endroit, 49 euros pour Leonard Cohen le lendemain aux Nuits de Fourvière... à côté, les 38 euros de Michael Stipe et de R.E.M. (le 8 juillet aux Nuits de Fourvière) ou les 40 euros de Vanessa Paradis (le 23 juillet toujours sur la colline) sembleraient presque donnés.
Malgré les prix prohibitifs, les trois dernières dates sont "sold out" depuis belle lurette.

Mais à entendre les professionnels du secteur, la situation risque de ne pas durer très longtemps. "Il va falloir revoir la politique des tarifs, parce que là il y a quand même une inflation hallucinante. On se dirige vers une crise majeure" prédit Jean-Pierre Pommier, patron d'Eldorado, l'un des principaux organisateurs de concerts sur Lyon.

"Les cachets d'artistes ont augmenté de 20 à 25%"

Alors, après la crise du disque, la déconfiture des concerts ? Why not... D'aucuns pointent du doigt l'inflation des salaires des musiciens. "Les cachets des artistes ont augmenté de 20 à 25 % ces cinq dernières années" constate Jacques Monnier, programmateur du Paléo Festival de Nyon (Suisse), l'un des plus gros rassemblements estivals d'Europe (12 millions d'euros de budget, dont 2 pour les artistes, et 100% d'autofinancement). Même son de cloche pour le festival gratuit Musiques en Stock, à Cluses (Haute-Savoie) : "en 2004/2005, les Kings of Leon prenaient 15 000 euros par concert, raconte Gregory Prijac, son responsable com'. Les années suivantes, ils passaient à 100 000 euros". Succès oblige.

Passage à l'euro, dégringolade du dollar (les cachets se paient aujourd'hui exclusivement en euros) et téléchargement, le tiercé maudit est évoqué par tous les organisateurs et promoteurs de festivals. Tous ? Non.

Dominique Delorme, directeur des Nuits de Fourvière, n'a pas la même vision des choses : "je ne crois pas qu'il y ait eu une inflation des cachets des artistes. En tous cas, en ce qui me concerne. Preuve en est, depuis 2003, mon budget artistique n'a pas augmenté. Mieux, en 2008, je monte plus de spectacles qu'en 2003".

Il faut dire que la donne n'est pas la même pour les Nuits de Fourvière que pour le Paléo Festival, par exemple. Sur un budget global de 6,5 millions d'euros, Fourvière touche plus de 3,5 millions (54%) du conseil général, véritable organisateur du festival festival lyonnais. Une somme devenue aujourd'hui indispensable pour pouvoir s'affranchir des prétentions salariales des têtes d'affiche qui remplissent le théâtre, faute de quoi les R.E.M, Massive Attack, Leonard Cohen, Vanessa Paradis et autres Keith Jarrett seraient inabordables pour la grande majorité des mélomanes.

Il y a deux ans, les Who créaient la surprise en venant aux Côtes du Rock, à Vienne. Cachet : 200 000 $. Du coup, le festival n'étant pas subventionné, le prix des billets a explosé atteignant jusqu'à 75 euros. A ce tarif, le théâtre antique était loin d'être rempli.

137 000 euros pour R.E.M.

Cette année, combien coûtent Cat Power et Benjamin Biolay* ? 65 000 euros. Pink Martini et Thomas Dutronc ? 80 000 euros. R.E.M., la tête d'affiche des Nuits de Fourvière 2008 ? 137 000 euros. Pour les auteurs de Losing my religion, 4 400 places ont été vendues à 38 euros, soit un bénéfice de 30 000 euros et des poussières .

Si les Nuits ont bien voulu nous donner certains cachets, reste que quand il s'agit de parler "cash", les plus bavards se font sourds et muets. Rares sont les tourneurs et directeurs de festival à donner des chiffres. Business is business.

Un proche du milieu confesse que "c'est délicat de donner les cachets des artistes car personne ne pratique les mêmes prix. Chaque fois, les négociations se refont". "Le cachet des artistes, c'est du business à part entière" renchérit Jean-Loup Perrin, d'Arachnée, organisateur de concerts dans Lyon et la région. Daniel Rossellat, directeur du Paléo Festival, déplore même de s'être fait "taper sur les doigts par un certain nombre d'agents d'artistes qui ont clairement exigé que nous ne communiquions aucun cachet, car ils ont des stratégies financières en fonction de tel ou tel festival". Bienvenue au paradis de l'oseille !

"Les artistes devront exiger des cachets moins élevés"

Ajouté à cela que plus le nombre de festivals augmente, plus le jeu de l'offre et la demande jouent à plein et plus le prix des places flambe. Cette année, en Rhône-Alpes, 18 festivals ont fait leur apparition, 11 en 2007 et 26 en 2006. Une vraie course à l'échalote. Et Jean-Paul Boutelier, fondateur de Jazz à Vienne, d'ajouter : "aujourd'hui, telle ou telle mairie veut son festival, forcément gratuit, donc payé par les impôts locaux. Je ne crache pas dessus mais ça crée des confusions : cela n'incite pas les gens à comprendre que les artistes ont besoin de vivre et d'un certain environnement technique".

En la matière, il existe un roi : Manu Chao. A 29 euros le ticket partout en France (il était à Vienne le 19 juin), l'homme est imbattable, d'autant que le concert dure trois heures. Soit moins de 10 euros les soixante minutes; pas mal quand on sait que Coldplay, eux, "prendront" aux environs de 60 euros (le 4 septembre à la Halle) pour moins que ça.

La solution ? "Il faudra une régulation du nombre de festivals, il a trop de choses dont beaucoup de n'importe quoi" lance Jean-Paul Boutelier. Et Jean-Pierre Pommier, d'Eldorado, de conclure : "pour que le public revienne dans les salles, il faut revoir à la baisse tous les échelons du coût d'un spectacle : les artistes devront exiger des cachets moins élevés, les moyens techniques devront être moins lourds sans que la qualité de la prestation n'en soit amoindrie".

The show must go on !

*Les cachets comprennent les salaires des artistes, l'hôtel, le contrat de cession, le transport, le son et lumières, la sécurité, le ménage, le montage et démontage, la taxe fiscale sur les droits d'auteur.

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