Jusqu’au 29 mai, les Assises du Roman interrogent le genre romanesque autour de débats, de lectures et de rencontres avec des écrivains du monde entier. À cette occasion, Lyon Capitale continue son immersion au cœur de la littérature contemporaine avec l’auteure Olivia Rosenthal, présente lors de cette édition (retrouvez aussi l’interview de Philippe Forest).
Êtes-vous déjà venue pour les Assises Internationales du Roman ? Quel regard portez-vous sur l’événement ?
Oui, je suis déjà venue une fois aux Assises. C'est un événement important et unique en son genre parce que des auteurs de tous les pays du monde peuvent, ce qui est rare, s'y rencontrer pour discuter ensemble de sujets qui ont trait à l'écriture et à la littérature.
Lors de votre venue vous participerez à une rencontre autour du thème « Le rôle et la présence de l’animal dans le roman », une thématique originale qui fait écho à votre dernier roman Que font les rennes après Noël ?, pensiez-vous un jour débattre d’une telle question ?
En écrivant le roman, je ne pensais pas vraiment aux débats qui pourraient advenir, j'étais entièrement occupée à travailler la structure du texte et à réunir des informations et des documents pour composer le livre. L'objectif était de trouver une autre manière de parler des liens que les hommes tissent avec les animaux, et pour ce faire de réaliser des entretiens avec des gens qui travaillent régulièrement avec eux. Après avoir achevé le livre j'ai compris qu'on pouvait y lire une réflexion sur le statut de l'animal. Mais cette réflexion n'est ni philosophique, ni juridique, ni anthropologique, c'est le récit et la fiction qui la tient de bout en bout. Le passage au débat sera donc une expérience inédite, car il n'y a rien de général dans ce que j'ai écrit, c'est au contraire une recherche de l'extrêmement particulier.
Le recours à la condition animale donne lieu à une réflexion profonde sur la liberté dans votre livre avec ce récit passionnant et riche en sens sur l’Homme et la condition humaine. Comment est-né ce roman ? Quel regard portez-vous sur le rôle et la présence de l’animal dans votre roman ?
Je voulais vraiment écrire un livre sur les animaux, et plus exactement sur le partage du territoire entre hommes et bêtes. Et j'ai d'abord commencé un récit beaucoup plus linéaire que je n'arrivais pas vraiment à construire. C'est à ce moment là que j'ai rencontré Stéphane Thidet, un artiste plasticien invité au festival Estuaire à Nantes. Il voulait faire venir une meute de loups dans la ville et m'a demandé si je voulais bien écrire un texte sur les loups pour accompagner son œuvre. J'ai accepté et ai commencé un travail de documentation: j'ai fait un long entretien avec le dresseur qui allait venir avec ses loups à Nantes, j'ai lu des dossiers de contrats et des tas de lois sur les animaux sauvages et domestiques. Ce travail préalable m'a convaincue de la richesse du sujet et j'ai donc décidé de poursuivre le travail en interrogeant plusieurs professionnels (soigneur de zoo, expérimentateur de laboratoire, vétérinaire, boucher etc.). Au final, je ne crois pas que mon livre parle des animaux, mais il parle des relations complexes, ambivalentes et difficiles que nous entretenons avec eux. C'est la frontière entre eux et nous, le vacillement de cette frontière, la manière dont l'animal nous renvoie à notre humanité et à notre animalité qui, je crois, est au cœur de ce livre.
L’animal est rarement au cœur des problématiques romanesques, d’après vous qu’est-ce que le roman peut nous dire sur l’animal (par rapport à la science, la sociologie, la philosophie…) ?
L'avantage de la littérature, c'est qu'elle permet de construire véritablement des fictions animales: par exemple Le Terrier de Kafka, c'est vraiment un texte qui nous fait entrer dans un monde fait de peurs, d'observations, un texte qui parle en des termes extrêmement précis de ce que peut être l'affairement d'un animal, sa crainte de l'intrus, la nécessité pour lui de se trouver un refuge et en même temps la sensation qu’il peut éprouver d'être prisonnier de son refuge. Ce texte nous permet de connaître pour la première fois une expérience dont nous n'avons qu'une vague idée. Et seule la littérature a ce pouvoir: nous conduire à nous mettre à la place de.
Que font les rennes après Noël ? vous semble-t-il marquer une rupture par rapport à vos précédents ouvrages, aussi bien au niveau du fond que de la forme -puisque on oscille entre le « roman d’apprentissage », le « manuel de retour à la vie sauvage », le « récit expérimental », le « conte philosophique » avec une démarche qui sort de l’ordinaire ?
Ce livre est vraiment dans la continuité des précédents, je n'aurais sans doute pas pu l'écrire si je n'avais publié avant On n'est pas là pour disparaître et Viande froide. D'une part, il a été réalisé à partir d'entretiens comme mes précédents livres; d'autre part il est à la frontière de la fiction et du documentaire comme les autres livres que j'ai cités. En même temps, j'y tente quelque chose de nouveau car quand j'écris, j' essaye à chaque fois de prendre une voie nouvelle, de ne pas refaire le même chemin, et aussi bien sûr de sortir de l'ordinaire, de trouver quelque chose de différent, d'expérimenter des formes qui permettent de sortir des catégories toutes faites pour que le lecteur ait la sensation de sortir de son territoire de connaissance, d'être à la frontière de l'inconnu. C'est en tout cas ce que je cherche quand je lis, c'est donc aussi ce que je cherche quand j'écris.
Rencontre avec Olivia Rosenthal : le jeudi 26 mai à 21h, table ronde « Présence animale », aux Subsistances. Le programme des Assises : https://air.villagillet.net/