Du 23 au 29 mai, le roman envahit la ville avec les Assises Internationales du Roman. Rencontres, lectures, tables rondes, les nombreux auteurs invités débattront autour des problématiques du roman. À cette occasion, Lyon Capitale a rencontré l’écrivain Philippe Forest, présent durant cette édition.
Lyon Capitale : Êtes-vous déjà venu pour les Assises Internationales du Roman ? Quel regard portez-vous sur l’événement ?
Philippe Forest : J'étais présent lors des premières Assises et j'avais été auparavant plusieurs fois l'invité de la Villa Gillet qui a été, à mon sens, l'un des lieux essentiels du dialogue littéraire et philosophique en France depuis sa création. En tout cas, je n'en vois pas d'équivalent. Tout cela s'est encore développé dernièrement, pour autant que je puisse en juger, avec la dimension internationale qu'a acquise la manifestation et qui lui permet à la fois d'accueillir des invités étrangers, venus du monde entier, et de mettre en place les conditions d'un échange régulier avec les États-Unis. Les Salons du livre se réduisent trop souvent à des signatures avec un peu de promotion. Le principe des Assises est différent. On y fait confiance aux écrivains en prenant le pari qu'ils peuvent penser, proposer une réflexion sur la littérature et le monde, et qu'ils sont désireux d'en parler autrement que pour faire la publicité de leur dernier livre.
Cette semaine, vous participerez à une rencontre autour du thème « survivre », dans quelle mesure ce sujet vous semble faire écho à vos œuvres ?
La question de la "survie" est pour moi, en tant qu'écrivain, la question essentielle. Tous mes livres procèdent d'une expérience de la perte - en l'occurence: celle de ma fille que je relate dans mon premier roman, L'Enfant éternel et sur laquelle revient, de manière toujours différente, chacun de mes ouvrages depuis. Comment survivre à une telle épreuve? Qu'est-ce que la littérature est en mesure, et en droit, d'en dire? A ces questions, je n'ai pas de réponse, bien sûr. Pas plus que n'importe qui. Et c'est pourquoi je continue à écrire.
Survivre et écrire ont souvent été mis en relation par les écrivains avec la réflexion autour de l’écriture comme une nécessité. En tant qu’écrivain, avez-vous l’impression d’écrire pour survivre ?
Je suis très méfiant - pour ne pas dire: tout à fait hostile- à l'égard de l'idée qui voudrait que l'art ait une vertu thérapeutique. C'est la vieille notion de "catharsis" remise au goût du jour avec le concept plus que douteux de "résilience". Je me suis notamment expliqué sur ce point dans un essai intitulé Tous les enfants sauf un et où je mets en cause la "société de consolation" dans laquelle nous vivons et qui intime à chacun l'ordre de "faire son deuil", imposant du même coup un tabou très puissant sur l'expérience du tragique. Or c'est à travers cette expérience, que nous pouvons accéder à la vérité de nos vies. Ces questions doivent être approchées de manière plus inquiète. Nietzsche déclare que nous avons l'art pour ne pas mourir de la vérité. Et même si cette formule demande à être précisée, elle indique la voie dans laquelle il faut s'engager pour comprendre comment la littérature nous permet d'affronter le tragique sans nous dérober devant lui et sans, non plus, nous laisser détruire par lui.
Le Siècle des nuages, votre dernier roman, connaît un succès critique considérable. Il émane de cette œuvre une beauté vertigineuse de l’écriture et une grandeur réellement fascinante. Comment percevez-vous cet ouvrage ? Avez-vous le sentiment d’avoir pénétré une nouvelle dimension dans votre parcours d’écrivain ?
Franchement, si je vous remercie de votre appréciation et si je suis heureux de l'accueil qui lui a été fait, mon dernier roman, pour moi, s'inscrit dans la stricte continuité des précédents. Il s'en distingue simplement par son ampleur qui est appelée par le sujet traité: l'histoire du XXe siècle vue à travers l'histoire de l'aviation elle-même vue à travers l'histoire de mon père qui fut pilote. Il y a une dimension épique comme c'était le cas avec Sarinagara où je mêlais mon histoire personnelle à celle du Japon moderne. Mais, si je dois vous faire un aveu, à titre personnel, ma préférence va plutôt à mes livres plus intimes comme Toute la nuit ou Le Nouvel Amour.
Vous êtes essayiste et romancier. Quel regard l’essayiste -que vous êtes- porte sur le roman ?
Pour moi, ces deux activités sont indissociables. Depuis plusieurs années, je développe en parallèle ce que j'appelle la série de mes fictions romanesques (mes romans chez Gallimard) et celle de mes fictions critiques (mes essais chez Cécile Defaut) de telle sorte que les mêmes questions se trouvent successivement et simultanément abordées à travers ces deux formes littéraires. Un essai doit se lire comme un roman. Et vice versa. La littérature ne doit pas être séparée de la pensée. Il me semble que c'est d'ailleurs l'un des principes sur lesquels repose aussi le programme des Assises Internationales du Roman à Lyon.
Les rendez-vous avec Philippe Forest : mardi 24 mai à 19h, table ronde « survivre » aux Subsistances. Mercredi 25 mai à 15h, médiathèque du Bachut, Lyon 8è ; et à 18h, Rendez-vous au Musée des Beaux-Arts, Lyon 1er.
Merci à Lyon Capital pour l'interview de cet excellent écrivain dont on ne parle pas assez.