Best seller de la rentrée littéraire 2011, Limonov, de Emmanuel Carrère remporte la plupart des suffrages. Une réussite loin d’être imméritée, même si la plume de l’auteur plie un peu sous le poids du personnage central. Un livre à lire, quelques semaines avant qu’il ne reçoive le Goncourt.
Telerama en fait sa une, et voilà Limonov, d’Emmanuel Carrère, confortablement exposé en devanture de toutes les librairies. Un best-seller en puissance. Limonov, ou comment Emmanuel Carrère transpose un personnage bien réel, en héros âpre, dans un récit constamment en balance entre biographie et essai historique. En 2008, il en avait déjà fait un sujet de reportage dans la revue XXI. Mais qui est Edouard Limonov ? Un personnage aussi fascinant qu’écoeurant : "voyou en Ukraine, idole de l’underground soviétique ; clochard puis valet de chambre d’un milliardaire à Manhattan ; écrivain à la mode à Paris ; soldat perdu dans les Balkans ; et maintenant, dans l’immense bordel de l’après communisme, vieux chef charismatique d’un parti de jeunes desperados". En déroulant le fil de l’histoire d’Edouard Limonov, Carrère offre en filigrane l’Histoire. Celle de l’Union soviétique des années 1970 à la chûte du communisme, d’enthousiasme en déceptions, d’Anna Politkovskaïa aux prisons de Poutine. De Moscou à New-York, en passant par Paris, le lecteur visite une galerie de personnages fascinante, parfois délirante, dans laquelle il croise pêle-mêle, Warhol, Sakharov, Sollers ou Jean-Edern Hallier, qui avait ouvert ses colonnes de l’Idiot International à cet écrivain venu de l’Est…
Entre URSS et US
Deux ans après D’autres vies que la mienne, on croyait Emmanuel Carrère revenu à des mœurs plus douces. Et bien non. Et c’est peut-être tant mieux. Dans Limonov, il réussi le tour de force de démontrer la complexité de ce personnage tantôt hors du commun, parfois peu fréquentable, au-delà de toute tentation manichéenne et s’abstenant de tout jugement. Limonov un personnage trouble, mais Limonov un grand livre qui, pour les décors, se rapproche d’Un roman russe, dans lequel Carrère remontait le fil d’un secret familial. Une Russie dépeinte avec justesse. Filiation oblige, puisque Emmanuel Carrère est le fils de l’académicienne Hélène Carrère d’Encausse, historienne, spécialiste de la Russie. Mais contrairement à son ouvrage de 2007, Limonov se teinte d’une ambiance américaine, sur le fond assez proche du Bûcher des vanités de Tom Wolfe. Un livre finalement aussi passionnant sur le fond qu’agréable sur la forme, et dont les 500 pages filent très rapidement entre les doigts. Toutefois les aficionados de la plume romanesque de Carrère peuvent rester sur le faim. Car le sujet phagocyte quelque peu la stylistique de l’auteur, tant la vie de Limonov est déjà un roman en soi.
Limonov : Goncourt 2011
Alors faut-il succomber et le lire ? Oui. Pour sa justesse, sa précision, le questionnement qu’il soulève sur le sens de l’engagement, et aussi parce que cet ouvrage détient tous les ressorts d’un roman d’aventure, d’une tension constante dans l’écriture jusqu’aux rebondissements improbables. Il faut également lire Limonov, car, après tout, il y a toujours un certain plaisir, une certaine jubilation à lire un Goncourt avant qu’il ne soit officiellement lauréat. Habillé d’un bandeau sombre flanqué du nom de l’auteur, on aura vite fait de le remplacer par le fameux bandeau rouge d’ici quelques semaines. Emmanuel Carrère, Goncourt 2011, c’est une certitude. Car même si certains préfèreront d’Autres vies que la mienne, parfois moins pesant, il parait désormais de coutume de récompenser la bibliographie plutôt que l’œuvre, comme ce fut le cas en 2010 avec Houellebecqu.