Après dix ans de silence littéraire, le romancier Alain Turgeon revient avec En mon faible intérieur. Soit la suite de cette vie, la sienne, ici pas mal éthylique, qu’il nous raconte depuis presque trois décennies, dépoussiérant l’autofiction et la langue comme on souffle les feuilles mortes.
Pour le dire comme l’auteur lui-même en empruntant une phrase de son nouveau roman, ça fait “au moins plusieurs lurettes très belles” qu’on n’avait pas eu de nouvelles littéraires de l’écrivain québéco-lyonnais Alain Turgeon. Une décennie tout juste puisque son dernier roman en date, Anamoureux préparturient, avait paru en 2011, soit une bonne grosse paille de la taille d’une poutre. C’est que l’auteur a, il l’avoue à longueur de romans, des rapports compliqués avec le sacerdoce de l’écriture. En son temps il résumait la chose ainsi : “Moi ce que j’aime c’est pas écrire, c’est avoir écrit.” Bon ben comme pour le reste, Turgeon n’a pas changé, l’écrivain en lui a la main poilue. Il n’empêche qu’on le retrouve en grande forme, c’est-à-dire à peu près au fond du trou à l’entame de En mon faible intérieur : “à l’époque, c’est pas que ma situation est spécialement alarmante mais au niveau de la santé ça va pas super bien depuis que je bois une bouteille de vodka par jour à peu près”, attaque-t-il presque à froid et à jeun. Un problème de boisson qui en amène évidemment d’autres mais surtout tout droit en cure dans une ville d’eau.Qui a bu foirera
C’est le point de départ d’un roman qui nous conte cette tentative pas gagnée d’avance quand l’auteur confie : “Rien me donne autant envie de boire qu’arrêter de boire”, les pérégrinations que cela induit au milieu de gens qui ne vont pas forcément mieux – d’où une émulation pas folle. Mais plus que cela, entre ateliers improbables, séances de psy collectives ou tentative de dragouille molle du personnel féminin du centre (faut bien s’occuper), l’auteur reprend la trame d’une œuvre essentiellement biographique là où il l’avait laissée : dans un bon gros doute existentiel. Sauf qu’il faut dire qu’entre-temps, il a appris que celui qu’il croyait être son père (suicidé, comme sa mère) n’est pas son père et que donc il serait toujours en vie, lui. Ce qui fait pas mal de différences, comme celle-ci : “Premièrement, la plus énorme, il en découlerait que ça serait en réalité pas mes deux parents qui se seraient suicidés mais juste un. Avec les deux dans cette façon de quitter la vie, je me suis toujours senti plus ou moins ou plutôt plus ou plus condamné ; un peu comme si j’allais seulement pouvoir leur pardonner en leur donnant raison et en faisant pareil.” Le voilà donc nous narrant, avec son très gros sens de la digression, cette quête du père qui, comme souvent chez lui, flirte avec le lamentablement rocambolesque. Et donc l’irrésistible. C’est le problème d’Alain Turgeon, qui est une grande qualité : il n’a pas son pareil pour précipiter toute circonstance dans un gros désastre pour mieux retourner ce désastre en sommet de comédie. Au vrai, on connaît peu d’auteurs contemporains dotés d’un tel sens de la situation et de ce genre de talent comique hérités du grand Will Cuppy (disons que sur la même ligne on ne voit que le Philippe Jaenada des débuts et les histoires de bush australien de Kenneth Cook).Il vous reste 42 % de l'article à lire.
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