© Jean-Luc Bertini

Livres : Éric Vuillard, la guerre et le déshonneur

Avec Une sortie honorable, récit de la grande débandade indochinoise dans les coulisses du pouvoir français – politique, économique, militaire –, Éric Vuillard poursuit son œuvre de dynamitage de l’Histoire officielle.

Il y a dans l’Histoire des plis qui permettent de recouvrir ce qu’on ne saurait voir. Depuis au moins Conquistadors, Éric Vuillard s’est fait une vocation, une œuvre même, considérable, d’aller gratter ces recoins pour les rendre lisibles, en extraire les lâchetés, les compromissions et l’hypocrisie cachées sous des tombereaux de patriotisme et les beaux discours usés convoquant le fantôme de l’intérêt général.

Une fois de plus, l'écrivain lyonnais remet, dans son nouveau livre, Une sortie honorable, l’Histoire à sa place, en déroule les horreurs et les saletés qu’il nous agite sous le nez qu’on avait distrait. Et une fois de plus, on ne comprend pas toujours ce qui, à la vue de ce spectacle terrible, nous apparaît aussi réjouissant, aussi rassérénant, aussi roboratif, quand il devrait nous laisser effondrés et mortifiés – pas forcément dans cet ordre.


La nécessité pour la France de sortir du bourbier indochinois


C’est une fois de plus au processus de colonisation (après Conquistadors, Congo et Tristesse de la terre), à la guerre aussi (ajoutons La bataille d’Occident, L’Ordre du jour, et en fait tous ses livres) que s’attaque l’auteur avec Une sortie honorable.

Un récit qui relate la fin en eau de boudin – une eau teintée de sang et de mauvaises intentions – de la guerre d’Indochine. “Une sortie honorable”, c’est le terme employé par René Mayer, éphémère président du Conseil au début de l’année 1953, afin de qualifier la nécessité pour la France de sortir du bourbier indochinois – un gouffre financier abyssal avec à peu près nulle chance de salut – sinon la tête haute, du moins sans perdre la face.

La guerre et le déshonneur

Bon, quelque part, l’affaire est entendue et laisse doucement résonner la fameuse phrase attribuée à Churchill à propos de la conférence de Munich de 1938, quand l’Europe se couche devant Hitler “Le gouvernement avait le choix entre la guerre et le déshonneur ; il a choisi le déshonneur et il aura la guerre.”


Comme toujours, avec sa cinglante ironie et son sens de la formule, Éric Vuillard dresse sans qu’il n’y paraisse des parallèles toujours bien amenés avec notre époque


En refusant de négocier avec le Viet-Minh, ce qu’elle n’a de toute façon pas les moyens de faire, la France pense pouvoir sauver les meubles. Ils finiront au feu, pour elle, et 20 ans plus tard pour les États-Unis qui ont pris le relais jusqu’à la chute de Saigon, historique débandade.

C’est ce pouvoir veule et près de ses sous qu’Éric Vuillard remet à sa place, les députés de la Nation qui se paient de grands mots dans lesquels ils font mine de croire, celui des banquiers aussi qui ont leur nez et leurs profits partout mais ont compris, eux, que l’Indochine est perdue depuis si longtemps qu’ils l’ont déjà désertée depuis des lustres.

Comme toujours, avec sa cinglante ironie et son sens de la formule, Éric Vuillard dresse sans qu’il n’y paraisse des parallèles toujours bien amenés avec notre époque – qu’il évoque La Revue des Deux Mondes et le couple Fillon en prend une au passage sans être pour autant nommé – ; avec la Macronie, à travers cette France des années 50 dont l’auteur finit par conclure qu’elle ferait tout aussi bien d’être dirigée par un conseil d’administration.

C’est donc oui, réjouissant, toujours d’une grande finesse et d’une grande justesse, le fruit d’une longue documentation passée au tamis de la littérature et de la langue, toujours sublime, d’Éric Vuillard.


Une sortie honorable – Éric Vuillard, Actes Sud, 200 p., 18,50 €.


 

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