Après le remarqué Une femme au téléphone, l’auteure lyonnaise Carole Fives continue dans Tenir jusqu’à l’aube sa remarquable entreprise de dénouage du nœud gordien de la question filiation/culpabilité. Elle en parlera ce mercredi à Lyon, à la librairie Passages.
Ce sont comme deux livres qui se regarderaient à la fois en miroir et en chiens de faïence, posés sur le nœud d’une névrose aussi centrale qu’universelle : “comment être mère ?” et “comment ne pas l’être”, en tout cas pas toujours. Dans son précédent roman, Une femme au téléphone, Carole Fives confrontait une jeune femme – une jeune mère, d’ailleurs – à la présence envahissante (exclusivement téléphonique mais terriblement envahissante) d’une mère, disons, un peu baroque, ne serait-ce que dans sa manière d’exprimer son amour maternel. On se souvient d’elle disant à sa fille : “C’est bête que tu sois ma fille, je t’aurais préférée comme mère en fait. La vie est mal foutue.”
Dans Tenir jusqu’à l’aube, le quatrième roman de l’auteure, on a l’impression de suivre la même jeune femme – la fille, celle qui ne disait mot – mais cette fois dans sa relation à son fils. Et s’il y a une chose sur laquelle la “femme au téléphone” avait bien raison, c’est celle-là : “La vie est mal foutue.” Et pas qu’un peu quand on élève en solo un petit bonhomme dont le père s’est volatilisé, menacée par le dépassement, l’épuisement et même le déclassement malgré une énergie insoupçonnée pour tenter de se sortir non seulement de la panade mais simplement d’un quotidien qui, entre boulot (ou recherche de), courses, lessives, rendez-vous chez le médecin et quête d’une crèche, commence à ressembler à une prison remplie de jouets, de peinture, de biberons nocturnes, de linge et d’emmerdements volant en escadrille…
Culpabilité
Une prison dont la sortie au square serait l’équivalent de la promenade quotidienne, les forums de mères célibataires le parloir et la solitude extrême le cadenas fermé à double tour. D’où une aspiration à la liberté qui chez cette mère naîtrait comme une fleur pousse sur le béton. Et qu’elle transforme en respiration quand, comme la chèvre de M. Seguin dont elle raconte tous les soirs l’histoire à son fils, elle va nourrir l’idée folle – indigne, elle le sait – de prendre la tangente le soir lorsque “l’enfant” est endormi, d’arpenter le décor urbain sous la lune comme on gambade dans la bruyère, de s’absenter pour ne pas disparaître, d’abord quelques minutes puis de plus en plus longtemps, toujours un peu plus loin, tirant, comme la Blanchette de Daudet, sur la corde. Celle de cette despotique culpabilité, qui déjà tenaillait la narratrice muette d’Une femme au téléphone, à laquelle il faudrait donner un peu de mou de temps à autre, juste ce qu’il faut, pour gagner le droit de ne pas demeurer constamment contraint dans un (les) rôle(s) au(x)quel(s) la vie nous assigne : ici une mère, là une fille. Comme un secret pour être à soi et tenir la distance. À tous les sens du terme.
Carole Fives / Tenir jusqu’à l’aube – L’Arbalète/Gallimard, août 2018, 192 p.
[Article extrait du supplément Culture de rentrée de Lyon Capitale – distribué gratuitement avec le mensuel de septembre, n°780]
Rencontres avec Carole Fives à Lyon : mercredi 12 septembre à 19h à la librairie Passages (il est prudent de réserver) et jeudi 27 septembre à la même heure chez Decitre, place Bellecour + le 30 octobre à 19h à la librairie Rive Gauche (19 rue de Marseille, Lyon 7e)