Deux productions de l’Opéra sont présentées ce mois-ci à Lyon, l’une à domicile, l’autre à l’Auditorium. Comédie exotisante (Ravel) versus parabole patriotique (Verdi) : deux salles, deux ambiances…
1911. Une trentaine d’années après le Carmen de Bizet, l’heure française est toujours aux espagnolades et l’Opéra-Comique de Paris, le théâtre une fois encore de fantasmes délocalisés. Mais, loin du côté dramatique de Carmen, le premier opéra de Maurice Ravel, annoncé par l’auteur comme une “comédie musicale”, joue davantage dans la catégorie du vaudeville coquin. Une “légèreté” qui vaut d’ailleurs à L’Heure espagnole le qualificatif d’œuvre “pornographique” à l’issue de sa première – avant que le public ne se ravise pour apprécier l’ouvrage à sa juste valeur.
À l’heure de Ravel
L’intégralité de l’action se déroule à Tolède au XVIIIe siècle, dans l’atelier de l’horloger Torquemada. L’ouverture est particulièrement marquante, avec ses métronomes dissimulés dans l’orchestre et réglés à vitesse variable, évoquant le tic-tac des horloges… S’ensuit un enchaînement de péripéties et de running gags voyant défiler les amants de Concepción, l’épouse de l’horloger, dans la chambre du couple, se cachant tour à tour dans le coffre des horloges pour éviter le drame. Parodique à souhait, L’Heure espagnole s’empare des ressorts comiques de l’opéra-bouffe dans un brûlot moderniste d’à peine une heure.
L’illustrateur jeunesse Grégoire Pont (connu pour sa série Les Excalibrius dans le magazine Toboggan) met son inventivité au service d’une mise en scène qu’on attend dans la veine de celle réalisée en 2016 pour L’Enfant et les Sortilèges du même Ravel. La direction sera quant à elle assurée par Jonathan Stockhammer et le plateau composé des jeunes chanteurs du studio de l’Opéra.
Antienne parabolique
À l’Auditorium, l’orchestre de l’Opéra reste aux commandes, mais le propos s’épaissit quelque peu. Adapté de Nabuchodonosor, drame d’Auguste Anicet-Bourgeois et François Cornu datant de 1836, le Nabucco de Giuseppe Verdi évoque l’épisode biblique de l’esclavage des juifs à Babylone. Parabole, en réalité, politique (les Hébreux représentent le peuple milanais oppressé par l’Autriche), c’est la problématique de l’unification italienne à venir qui est en toile de fond. Artiste engagé, Verdi apparaîtra bientôt comme un symbole du Risorgimento (“résurrection” en français) : la lutte de l’Italie pour son unité et son indépendance. Avec ses marches, ses chœurs massifs – le plus célèbre demeurant Va, pensiero (second hymne national italien), ses registres dramatiques – le rôle-titre, notamment, confié à la voix de baryton plutôt qu’au ténor traditionnel –, Nabucco tape fort et impose le jeune Verdi. Il est présenté ici en version de concert (sans mise en scène) et dirigé par Daniele Rustioni.
NB : Leo Nucci, indisponible pour raisons de santé, est remplacé par Amartuvshin Enkhbat.