Emmanuel Demarcy-Mota propose aux Célestins sa mise en scène des Sorcières de Salem, du dramaturge américain Arthur Miller. Une pièce poignante.
C’est en s’inspirant d’un célèbre procès en sorcellerie qui eut lieu en 1692 à Salem dans le Massachusetts qu’Arthur Miller écrivit sa pièce Les Sorcières de Salem. L’affaire était passablement complexe mêlant manipulations diverses, divination, satanisme, racisme, sexe, religion et… très jeunes filles. Le tout dans une petite ville de l’Amérique puritaine, assiégée par les Amérindiens. Pour des motifs troubles mélangeant complot, vengeance personnelle et folie paranoïaque, durant l’hiver glacial de 1691-1692, Betty Parris et Abigail Williams, respectivement fille (âgée de neuf ans) et nièce (âgée de onze ans) du révérend Samuel Parris, accusèrent une bonne partie de leurs concitoyens de frayer avec le diable.
Le problème, c’est qu’elles eurent gain de cause : dix-neuf accusés trouvèrent la mort, par pendaison. Détail cruel, certaines femmes inculpées, et condamnées, ne furent pendues qu’après avoir accouché (elles avaient été emprisonnées enceintes). Déployant son art du dialogue et de la psychologie des personnages, Arthur Miller s’empara de cette affaire aujourd’hui encore mal élucidée. Il en fit une de ses pièces majeures, avec Mort d’un commis voyageur. À sa sortie, en 1953, l’œuvre eut d’autant plus de succès que l’Amérique était elle-même en pleine “Chasse aux sorcières”. C’est l’époque de la Guerre froide, du maccarthysme, où les vrais, et supposés, communistes, risquent la prison et leur avenir professionnel, quand ce n’est pas leur vie.
Il n’est donc pas innocent que Demarcy-Mota remette aujourd’hui la pièce sur le métier. Certes, les foudres du maccarthysme sont loin. Mais les questions posées par la pièce de Miller ont repris de l’acuité avec l’accession de Donald Trump à la Maison-Blanche. Des questions comme la relation au pouvoir entretenue par chaque citoyen, la notion de courage ou de résistance, les valeurs individuelles et collectives… D’autant que l’emprise religieuse, les croyances irrationnelles qui y sont liées, reprennent de la vigueur, et pas seulement aux États-Unis. Les interrogations politiques ne sont pas le seul intérêt du spectacle. Dans une ambiance qui s’éloigne du naturalisme, tout en restant en prise avec le réel, Demarcy-Mota a réuni une distribution solide, talentueuse (avec notamment Élodie Bouchez et Serge Maggiani) pour interpréter ce texte puissant.
Les Sorcières de Salem - Du 2 au 10 octobre aux Célestins