Les auteurs libanais s’expriment de plus en plus fort. Les bandes dessinées du Liban dépassent les frontières et s’inscrivent durablement sur la scène internationale. Lisa Mandel, spécialiste du BD-reportage a passé 4 mois au Liban, d’où elle publiait ses dessins sur le site du Monde. Accompagnée de Joseph Kai, auteur libanais, elle raconte son expérience dans le chapiteau du Lyon BD Festival.
“C’est peut-être plus facile quand on est étranger, de parler du Liban, que quand on est libanais.” Lisa Mandel ouvre le débat. De septembre à décembre 2017, elle a été hébergée par de riches familles libanaises, pour découvrir le pays. “J’avais l’idée de faire un blog un peu rigolo, et je suis arrivée de manière très naïve, sans vraiment savoir ce qu’était la situation au Liban. Et je me suis très vite aperçue que ce n’était pas facile de ne faire que des sujets légers”, lance l’auteure de Nouvelles de la jungle. “Il faudrait douze tomes pour vraiment comprendre ce qu’il se passe au Liban”, ajoute-t-elle. Ses strips seront publiés dans un livre à paraître aux éditions Delcourt en septembre. “Les Libanais ont beaucoup ri en lisant mes bandes dessinées. Au début, je n’osais pas tout dire, par peur de vexer, mais ce sont eux qui m’ont dit de tout raconter. Et ils ne se reconnaissaient jamais, ils riaient de gens qui auraient pu être eux. Paradoxalement, ce sont surtout les Français qui m’ont reproché de parler avec trop de légèreté de la guerre par exemple”, raconte Lisa Mandel.
Le Liban, la guerre et la bande dessinée
“Je n’ai pas connu la guerre, parce que je suis né après. Je n’ai connu que la petite guerre de 2006”, confie Joseph Kai, qui ne manque pas de faire réagir Lisa Mandel : “Alors, c’est aussi quelque chose que j’ai trouvé très “drôle”, vous avez une relation à la guerre qui est très particulière. C’est à la fois très présent, et vous avez pourtant beaucoup de distance, là, tu parles d’une “petite guerre”, mais je pense que si pendant deux mois il y avait des bombes qui tombaient sur la France, on ne réagirait pas du tout pareil !” Pour Joseph Kai, la guerre est omniprésente, dans ses conséquences. “Je n’ai jamais eu le besoin d’écrire sur la guerre, parce que je ne l’ai pas vraiment vécue. Et en 2006, j’avais 15 ans, et je ne voyais pas ça comme un danger. J’ai sans doute eu peur à des moments, mais c’était plus comme une révolution, comme le signe que le pays bougeait”, raconte le jeune auteur. “Les bandes dessinées libanaises abordent beaucoup la guerre, et c’est beaucoup ce qu’on nous demande. Je le fais parfois, mais plus pour des raisons, disons, économiques”, avoue-t-il en souriant. “Aujourd’hui, il y a des auteurs libanais qui abordent des sujets beaucoup plus personnels, beaucoup plus intimistes”, poursuit Joseph Kai.
Censure ou autocensure ?
Quand on lui demande si les auteurs libanais peuvent aborder les thèmes qu’ils veulent, Joseph Kai ne sait pas trop comment répondre. “La censure est vraiment très aléatoire et arbitraire. La revue Samandal a reçu un procès pour deux petits dessins jugés blasphématoires. Mais à côté il y a tout un numéro sur la sexualité, la littérature et la poésie qui est passé inaperçu”, témoigne-t-il. Pour autant, impossible de se dire que, si un sujet est passé une fois, il passera toujours... La sexualité commence à être un sujet traité par les auteurs libanais. La politique en revanche, plus difficilement. “C’est peut-être aussi un peu d’autocensure. Dans le sens où, si je critique des politiques libanais, dans un album que je propose pour le public libanais, ça ne passera jamais. En revanche, si j’ai vocation à être publié ailleurs, sans doute que ça passera. La censure ne regarde pas les livres avant qu’ils soient publiés.”
À l’inverse, “la BD de Lisa pourrait être traduite en arabe et vendue au Liban, après quelques révisions”, rit Joseph Kai. Plus question de censure, mais de réception du public. “C’est un pays multiconfessionnel, et il y a un lectorat de bande dessinée déjà maigre, et chacun a ses propres avis, alors pour séduire un grand panel…” termine Joseph Kai. Ce dimanche, l'auteur sera aux côtés de Raphaelle Macaron, Tracy Chawhan, Barrack Rima et Karen Keyrouz au parc LPA de la Fosse-aux-Ours de 14h à 18h.