(Photo by Behrouz MEHRI / AFP)

Lyon : comment des résistants ont fait découvrir Stan Lee en France

Père de nombreux héros de comics Marvel comme Spider-Man, Hulk, ou Iron Man, Stan Lee est mort le 12 novembre 2018. A Lyon, des anciens résistants ont contribué à faire connaître Stan Lee et ses héros à la France, tout en devant affronter la censure.

Mais comment les super-héros de Stan Lee comme Spider-Man, Captain America ou Iron Man ont-ils pu arriver en France grâce à une maison d’édition lyonnaise ? Aux origines des éditions Lug, on trouve deux grands noms de la Résistance, déjà liés au monde de l’édition : Auguste Vistel, dit Colonel Alban, qui a publié le journal La Marseillaise en février 1944, et le journaliste Marcel Navarro, qui travaille pour l’éditeur S.A.G.E. Comme beaucoup, ce dernier s’était installé en zone sud. À la libération, le papier est une denrée stratégique. Les collaborateurs en sont privés, les résistants y ont accès pour publier leurs journaux. L’aventure qui leur permettra de passer à la postérité débute en 1950 avec le lancement des éditions Lug (abréviation de Lugdunum). Commence ainsi la première vie de la maison, marquée par le petit format. Les Italiens de SAGE sont partis à Paris, Navarro fait travailler les auteurs restés sur place. Ils font ainsi la part belle aux héros italiens tels que Tex Willer. Les publications s’enchaînent : Rodéo, Plutos, Pipo, Tex, Kiwi – “plus de cinquante titres vont sortir”, raconte Romuald Boissard, spécialiste lyonnais de l'histoire de la bande dessinée. Le petit format, c’est plus de 49 000 numéros, un vrai phénomène commercial. Un atelier est mis en place pour adapter les histoires du format italien, en forme de strip, à celui des Lyonnais (13x18). Faute d’informatique, tout est fait à la main, les bulles découpées au cutter sur des bromures, photographies industrielles. Il faut parfois redessiner certaines cases ou compléter les décors en fonction des changements. Cet atelier installé à Vaise va tourner à plein régime avec l’arrivée de nouveaux héros.

Les résistants face à la censure

En 1968, Marvel cherche à implanter ses héros dans le monde entier. En France, les éditions Lug parviennent à décrocher les droits pour une bouchée de pain, “l’équivalent de 15 euros constants la page”, précise Romuald Boissard. Claude Vistel, fille d’Auguste, a découvert le Surfeur d’Argent un an plus tôt, “elle a eu un coup de cœur pour le personnage”. La revue Fantask voit le jour. Lug propose des publications destinées à la jeunesse avec un taux de TVA de 2 %. Pour accéder à ce Graal, il faut se confronter directement à la commission de censure, qui peut choisir de faire basculer les titres en “publication pour adultes” et leur imposer une TVA de 33,33 %. La loi n° 49-956 sur les ouvrages destinés à la jeunesse ne laisse aucune souplesse, ce qui marquera la fin rapide de la revue Fantask. La commission ne supporte pas le personnage de la Chose dans Les Quatre Fantastiques, un homme de pierre à l’allure monstrueuse. Après avoir reçu le 25 avril 1969 une mise en demeure les menaçant de poursuites, les éditions Lug sabordent le magazine. Ils ont toujours les droits Marvel et cherchent des astuces pour contourner la censure. Les publications suivantes sont proposées en petit format, en bichromie orange et vert, ce qui agace certains lecteurs. En 1970, Lug retente sa chance sur le secteur du grand format couleur avec Strange et Marvel. Un an plus tard (le 19 mars 1971), cette dernière est interdite de vente aux mineurs. Le numéro 14 ne sortira jamais, bien qu’aujourd’hui encore une poignée de fans persistent à croire qu’il en existe quelques exemplaires imprimés. Quant à Strange, elle ne devra sa survie qu’à l’autocensure des éditions Lug. L’atelier va s’attacher à gommer tout ce qui pourrait déplaire à la commission. Romuald Boissard décrit le processus : “Claude Vistel contrôle tout. Elle annote en marge les consignes, raye des cases qui doivent être supprimées. Le chef d’atelier prend la suite, la traductrice intervient et indique le nouveau contenu. Le lettreur coupe directement les bulles sur le bromure qui est en noir et blanc. Il est collé sur un support solide. Place au retoucheur, qui est chargé de gommer, redessiner, adapter. Le travail est revérifié par Claude Vistel ou la traductrice – ils redoutaient les fautes d’orthographe. Le chef d’atelier réalise la composition finale et rien ne sort sans l’aval de Claude Vistel. La couleur est effectuée directement à l’imprimerie.”

Les règles internes sont claires : pas de drogue, pas de violence envers les femmes et les enfants, pas de dents pointues, ni de monstres ou de créatures trop effrayantes, éviter les armes à feu et les armes blanches ainsi que les onomatopées violentes. Quand les lecteurs se plaignent de la censure, Claude Vistel leur répond directement dans le courrier des lecteurs, rappelle Romuald : “Ils jouaient la survie du journal, c’était ça ou arrêter la publication. Ils n’ont rien caché et n’hésitaient pas à publier des décisions de la commission alors que cela était interdit.” Lug va entrer dans un âge d’or qui se terminera dans les années 1980. Les ventes baissent. En 1988, la maison d’édition est vendue aux Suédois de Semic. Claude Vistel restera jusqu’en 1993. En 1996, Semic perd les droits des héros Marvel. En 1988, Strange, Titans et Nova disparaissent, Semic est repris par le groupe Tournon. C’est la fin de Lug.

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