Mgr Najeed devant la bibliothèque du diocèse de Lyon © Ludovic Séré

Lyon : entretien avec Mgr Najeeb, le “sauveur de livres” de Mossoul

À l’occasion des Assises internationales du Roman et dans le cadre du jumelage entre la ville de Lyon et Mossoul, en Irak, le père Najeeb était présent plusieurs jours dans la région. Récemment nommé archevêque de Mossoul, le “père numérisateur” est connu pour avoir sauvé des milliers de livres et de manuscrits face à la menace de Daesh en 2014. Entretien.

Michaeel Najeeb veut sauver les livres et les hommes. Cet ancien employé de l’industrie du pétrole est entré dans les ordres à l’âge de 24 ans, fasciné par les Dominicains. Après avoir creusé la terre pour faire jaillir l’or noir, il a préféré “creuser l’esprit des gens”. C’est en 2014 que le monde découvre le père Najeeb et son projet : sauver des manuscrits, vieux de plusieurs siècles pour certains, de la menace de Daesh à Mossoul. Il continue ce travail aujourd’hui, et se bat pour le retour des Chrétiens d’Orient à Mossoul.

Lyon Capitale : Pourquoi numériser des manuscrits aussi anciens ?

Mgr Najeeb : L’idée est venue déjà en 1990, quand la plus grande bibliothèque privée en Irak avait quelques volumes, notamment des manuscrits, trop demandés. Et nous avons un proverbe en Orient qui dit que celui qui emprunte un livre est intelligent, mais celui qui le rend est fou ! La majeure partie de ces livres ont disparu. En les numérisant, on crée une copie et on protège l’original.

J’ai d’abord fait ça tout seul pendant plusieurs années, maintenant nous avons une équipe de dix personnes avec quatre studios numériques. Depuis 2009 nous avons numérisé plus de 8000 manuscrits, dont plusieurs centaines de parchemins qui remontent au XIe siècle, mais aussi plus de 35 000 documents, comme des correspondances, que nous avons aussi sauvés.

Pourquoi est-ce aussi important ?

Pour casser les barrières entre les êtres humains, aller au-delà des frontières, c’est essentiel de respecter la culture, surtout la culture des autres. C’est la seule manière pour combattre l’obscurantisme de Daesh qui essaie d’effacer la différence.

Mgr Najeeb à Qaraqosh, en Irak, avec un manuscrit.

Brûler un livre, c’est un crime contre l’héritage humain. C’est important de garder l’être et sa culture, l’arbre et ses racines, en même temps. Il était important de ne pas laisser un seul livre entre les mains de Daesh, car ils voulaient tous les anéantir. En sauvant physiquement les livres, on participe au sauvetage du patrimoine humain. Et en les numérisant, on donne accès à ses livres à des millions de personnes. Un livre caché est un livre mort. En le mettant sur internet, il devient immortel en quelque sorte.

Avez-vous été menacé par Daesh ?

Daesh n’est pas descendu du ciel. C’est une accumulation des groupes terroristes fondamentalistes qui ont poussé un peu partout en Irak. Le terrain idéologique était propice pour faire naître Daesh. Depuis la chute de Sadam Hussein en 2003, ces groupes ont fleuri et ont commencé à attaquer nos églises. J’ai déjà été menacé une quinzaine de fois : au téléphone ou par des lettres avec des versets coraniques, une balle et une croix découpée en morceaux.

Ils nous demandaient de l’argent pour nous laisser la vie, ce sont des méthodes mafieuses. Notre église à Mossoul a aussi été attaquée au moins une dizaine de fois. Avec des bombes, des voitures piégées… Tout cela avant Daesh. Nous avons quitté Mossoul physiquement, par ordre dominicain, en 2007. On a transporté toute notre collection de livres et d’archives 30 kilomètres au nord est de Mossoul, à Qaraqosh, où nous avons continué à numériser les livres.

Où vivez-vous désormais ?

Actuellement je vis toujours en Irak, depuis le 18 janvier 2019 j’ai été nommé par sa Sainteté le Pape François archevêque de Mossoul, cet évêché qui était resté sans évêque depuis Daesh à peu près. Le siège de mon diocèse n’est pas à Mossoul, car tout a été détruit.

Mossoul aujourd’hui ressemble à deux villes : sur la rive gauche n’est pas trop abîmée. C’est un désastre bien sûr, mais beaucoup de maisons restent debout, la vie revient un petit peu. Mais sur la rive droite, c’est le Kosovo. Tout est démoli, par terre, pillé, délabré. Aujourd’hui, il y a tout à reconstruire. Et construire sur des décombres c’est doublement plus difficile, car il faut enlever, et puis creuser pour rebâtir. Psychologiquement, on est très atteint au fin fond de notre coeur quand on voit notre maison, le travail de notre vie, brûlée. C’est humiliant pour l’être humain. Avant de reconstruire les pierres, on essaie de construire l’esprit des gens.

Daesh a-t-il définitivement disparu de Mossoul ?

Daesh n’est plus là, mais l’idéologie est restée dans les têtes. C’est plus dangereux parce que, physiquement, on peut contrôler un terroriste, mais pas l’idéologie. Ou alors grâce à l’éducation, mais cela prend du temps.

Le gouvernement irakien est faible. Depuis la chute de Sadam, ils n’ont rien fait de palpable ou d’important pour le pays. Il n’y a que la guerre et la vengeance des tribus les unes contre les autres. Ce n’est pas un gouvernement d’unité pour le pays. Ces fractions différentes commencent à semer la dissonance dans le peuple. Nous n’avons plus confiance les uns envers les autres. Cela empêche les chrétiens de retourner à Mossoul.

Il y a eu quelques cas de familles qui y sont retournées. Les voisins eux-mêmes, au lieu de les aider à nettoyer leur maison ou apporter à manger, leur ont dit : “Pourquoi vous êtes revenus ? Vous n’avez pas compris la leçon que Daesh vous a donnée ?” Ils ont senti une menace indirecte et le lendemain, ils ont pris leurs affaires et sont repartis.

Comment voyez-vous l’avenir pour les chrétiens en Irak ?

Je suis optimiste par nature, je ne sais si c’est un défaut ou une qualité. Malheureusement, aujourd’hui la corruption est entrée au fin fond du coeur de beaucoup de gens. C’est ce qui me fait douter à un avenir meilleur. Nous sommes aussi devenus, la Syrie et l’Irak, un lieu de jeu pour des pays étrangers. Au-delà des mers ils viennent régler leurs conflits chez nous. J’espère que les gens vont se réveiller pour demander la vraie démocratie.

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