Dans la nuit de mercredi à jeudi, Lyon a perdu l'un de ses plus anciens bouquiniste et puits de culture musicale. Emporté à 64 ans, Serge Boissat n'a jamais cessé de diffuser sa passion pour le rock au sens large et pour la bande dessinée. Son ami et fondateur de la radio libre "Radio Bellevue" en 1981, le réalisateur Jean-Claude Chuzeville, lui rend hommage.
Serge Boissat à Lyon, c'est d'abord la librairie Boul'dingue, centre névralgique pour les mélomanes et lecteurs de bande dessinée depuis 1974. "Sous des dehors très modestes et le capharnaüm à l'intérieur, c'était le rendez-vous de gens qui étaient spécialistes et connaisseurs. Serge était connecté avec des collectionneurs du monde entier à partir de cette petite boutique", raconte Jean-Claude Chuzeville.
Nichée dans la rue du Palais de Justice, dans le 5e arrondissement, Boul'dingue est depuis 44 ans une véritable institution pour tous les passionnés de jazz, blues, rock, punk, métal et bande dessinée."Dans sa boutique, et ce dès les années 70, on était surpris d'attendre derrière un monsieur très bien habillé et cadre dans une banque. Et puis derrière toi, il y avait un espèce de punk complètement éclaté. C'était un gars paisible, Serge. Il était fondamentalement gentil", témoigne son ami. Parmi les habitués de sa boutique, la chanteuse Patti Smith et le guitariste Lenny Kane. Lors d'une venue à Lyon, Bob Dylan n'avait pas manqué d'y passer.
Collectionneur hors pair, Serge Boissat était capable de dégoter des pièces incroyables. "À Radio Bellevue, il apportait des disques qu'on n'avait jamais vu et dont on ne savait même pas qu'ils existaient. Et il avait la même réputation chez les amateurs de BD en étant capable de leur retrouver des albums des années 50 ! Il aimait aussi le Viet Nam et il y a une quinzaine d’années, avait failli tout quitter pour s’y installer. Heureusement pour nous, les fonctionnaires Viet lui ont cherché des poux sur son titre de propriété et heureusement pour lui, il a rencontré l’amour de sa compagne France Ducruet avant de reprendre Boul'dingue".
Radio-Bellevue, "les meilleures années de sa vie"
En 1981, lorsque le projet de créer une radio libre à Lyon se concrétise, Jean-Claude Chuzeville se tourne vers Serge Boissat. "Quand il y a eu l'idée de Radio Bellevue, Serge a plongé immédiatement, car pour lui, c'était l'occasion, bon dieu, de partager ! D'abord une collection et des goûts formidables, mais en même temps de pouvoir se taper un morceau de John Coltrane de 15 minutes à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit".
À l'époque, Serge Boissat dispose d'une collection de plus de 20 000 disques. "Sur les trois chaînes de radio musicale en France : Europe 1, RTL et RMC, on ne pouvait jamais écouter un morceau de Franck Zappa sous prétexte que ça durait 8 minutes 30. Ce qui était diffusé ne dépassait pas la crête et nous étions frustrés de ne jamais entendre la musique que nous aimions", poursuit Jean-Claude Chuzeville. "Monter une radio pirate tombait sous le coup de la loi et il y avait directement les flics. Nous avons attendu patiemment l'élection du 10 mai en se disant que Mitterand ferait moins chier que les autres. C'est effectivement ce qu'il s'est passé, la police a arrêté les poursuites et je suis allé acheter un émetteur en Italie".
"Il va me manquer. Amicalement, ça me troue"
Commence alors le grand boom des radios libres. À Lyon, le collectif FRIGO auquel appartient Serge Boissat fait vivre la contre-culture. L'équipe s'installe dans une villa rue Saint-Michel pour faire résonner Radio Bellevue jusqu'en 1986. "Cette radio a eu une côte incroyable à Paris. Lorsque je siégeais dans une commission au ministère de la Communication, les gars n'avaient jamais écouté Bellevue, mais tout le monde savait qu'à Lyon il y avait une radio culture rock et libre". Après avoir cofondé le label Mosquito et révélé des artistes comme Rachid Taha, Elli Medeiros ou Stephan Eicher, Serge Boissat fonde Zap FM à Vénissieux, où il accueillera notamment Iggy Pop.
"Il va me manquer. Amicalement, ça me troue. Je n'ose même pas aller à côté du palais de Justice et rentrer dans sa boutique", confie Jean-Claude Chuzeville. Emporté par la maladie ce 2 août, Serge Boissat laisse derrière lui de nombreux souvenirs, mais aussi une partie de son œuvre avec la librairie Boul'dingue qu'il tenait avec son frère. "On souhaite tous que ça continue et je pense que Roland a la capacité pour continuer le boulot, s'il en a envie" estime le réalisateur. Cette semaine, les habitués ont sans aucun doute ressenti eux aussi un pincement au cœur en passant devant les grilles fermées de la librairie Boul'dingue.