Fête foraine vieille de 150 ans, la Vogue des marrons à la Croix-Rousse débute ce samedi 6 octobre et s’achèvera le 11 novembre. Découvrez l'histoire de ce pan de vie lyonnaise.
Depuis un siècle et demi, la tradition résonne sur la colline qui travaille. Entre octobre et novembre, le plateau de la Croix-Rousse vit au rythme de la vogue. Même si certains la redoutent (et ce n’est pas nouveau) pour leurs oreilles, ils seraient sans doute les premiers à se plaindre de sa disparition tant elle fait désormais partie de l’identité de la cité.
1851. La commune de la Croix-Rousse fait toujours peur à Lyon. Les révoltes des canuts de 1831 et 1834 ont marqué les esprits dans toute l’Europe et celles des Voraces en 1848 et 1849 ont rappelé que la colline refuserait d’abdiquer sans se battre. Depuis 1848, la France redécouvre la République, du moins en apparence. Le pouvoir est alors aux mains de Louis-Napoléon Bonaparte, président élu en décembre 1848 pour quatre ans. Dans ce contexte, le 4 octobre 1851, la Croix-Rousse accueille l’une de ses premières vogues, dont l’affiche-programme est parvenue jusqu’à nous. Le faubourg est en émoi : pour la première fois, “Places et Promenades publiques où se tiendra la Vogue seront complètement illuminées au gaz, avec des appareils d’une invention toute nouvelle”. Les “amusements” sont divers et variés : “tirs à la cible, à l’épée et à la boule”, “courses en sac”, “casse-pot”, “tirs à l’oiseau” et bien sûr, le soir, les danses et bals publics qui donnent son autre nom à la vogue : la “Grande Fête baladoire”. Les marrons qui feront plus tard sa renommée n’apparaissent pas encore sur les publicités. Il faut dire que la fin de l’année a de quoi faire perdre l’appétit. Les réjouissances d’octobre sont oubliées depuis longtemps quand, le 2 décembre 1851, Louis-Napoléon Bonaparte réussit son coup d’État. Les élites politiques s’attendent alors à une rébellion lyonnaise, mais le maréchal Castellane et ses soldats déployés massivement dans toute la ville tuent dans l’œuf tout espoir de révolution. Menacée par les soldats, soumise par la loi en 1852, la Croix-Rousse, comme la Guillotière et Vaise, est absorbée par la ville de Lyon. Les trois anciennes “communes” perdent de leur autonomie, au profit du préfet qui détient le pouvoir sur cette nouvelle ville. Vont en découler quelques changements pour la vogue.
207 jours de vogue à Lyon en 1896
De ses premiers jours jusqu’en 1866, la vogue se tenait dans la grande rue bordant le rempart de la Croix-Rousse. Mais le préfet Vaïsse, connu pour ses grands travaux à Lyon, ne peut tolérer qu’un tel mur coupe ainsi sa ville. En 1866, il fait donc détruire le rempart et le fait remplacer par un boulevard. La vogue y trouve un emplacement de choix qu’elle ne quittera plus.
En 1896, Lyon est la ville des vogues par excellence. Elle en compte alors une douzaine, qui s’étalent sur 207 jours entre Pâques et la Toussaint. La première débute en avril, quai Claude-Bernard. Suivent celles de la Boucle, de Perrache, du quai de l’Est, de Vaise et de la Guillotière en juillet, et de nouveau Perrache, puis le cours du Midi et Saint-Pothin, la saison s’achevant en octobre-novembre à la Croix-Rousse, tel un baroud d’honneur de la joie et de la bonne humeur avant la grisaille hivernale.
Comme le soleil qui refuserait de se coucher, la vogue de la Croix-Rousse jouait parfois les prolongations, à la grande joie des enfants – et au détriment des adultes, qui se plaignaient déjà des nuisances sonores. Les forums ont parfois peur de la voir disparaître, les pétitions ont déjà eu raison de certaines vogues lyonnaises. À la fin du XIXe siècle, sous la mandature du maire Antoine Gailleton, trois d’entre elles ont été supprimées : place Sathonay, place Saint-Jean et quai des Brotteaux.
Se croisent alors attractions inspirées des zoos coloniaux où les hommes et les femmes sont présentés comme des animaux, participant à la fabrique des clichés, montreurs, charlatans, mais aussi orchestres, balançoires, tir à la carabine, fléchettes et autres jeux d’adresse. C’en est trop pour certains. Au début du XXe siècle, les bruits de la vogue de la Croix-Rousse agacent ses habitants, au point que des pétitions circulent de nouveau pour demander son abrogation. N’en faisant aucun cas, elle continue sans retenue pendant quelques années, prenant progressivement son nom de “vogue des marrons”. Cependant, à force d’excès, un arrêté municipal est pris en 1909 pour interdire de jouer de la musique après 23 heures, au grand désarroi des ennemis de la vogue, qui auraient préféré bouter purement et simplement la fête de la colline.
Modes et revivals
La vogue des marrons ne cesse alors de s’agrandir. Les montreurs et autres attractions humaines disparaissent progressivement, remplacés par des manèges plus sophistiqués. Entre les deux guerres, apparaissent les premières autos tamponneuses. Les années 1930 sont également marquées par l’arrivée des “chenilles” qui apportent l’ivresse de la vitesse. Après guerre, les forains délaisseront ces grands manèges aux allures d’œuvres d’art sur remorques pour les remplacer par des attractions destinées aux enfants, telles que les avions.
Remises à neuf, les chenilles des années 1930 reviendront pourtant à la mode dans les années 1980. Las, leurs nouveaux moteurs hydrauliques, qui ont remplacé les électriques, ne sont vite plus assez rapides pour un public jeune abreuvé d’adrénaline. Les années 2000 sont marquées par la folie des hauteurs. La vogue des marrons accueille désormais des manèges dignes des plus grands parcs d’attractions, tel l’Ultimate Speed qui emmène ses voyageurs à 35 mètres au-dessus du sol au son de la musique techno. Certains Croix-Roussiens perpétuent la tradition centenaire en se plaignant régulièrement du bruit et des nuisances de la vogue. Depuis 150 ans, les attractions changent, partent puis reviennent, les familles de forains restent, les mécontents aussi, la vie n’est qu’un tour de manège où tout recommence et se répète.