Service archéologique de la Ville de Lyon

Lyon : les mystères des arêtes de poisson

Monument romain, cachette pour le trésor des templiers, galeries militaires ? Depuis 60 ans, les “arêtes de poisson” ont longtemps été un mystère qui nourrissait tous les fantasmes à Lyon. Des recherches archéologiques ont redistribué les cartes d’un monument qui restera fermé pour toujours aux Lyonnais.

Article abonnés, exceptionnellement offert, publié dans Lyon Capitale 763, en février 2017

L’édifice lyonnais le plus mystérieux et surprenant est caché aux yeux de tous. Avec plus de trente kilomètres de galeries souterraines dans ses deux collines, Lyon possède un exceptionnel patrimoine secret. Grottes, réseaux romains pour distribuer l’eau des aqueducs, galeries du Moyen Âge pour évacuer les trop-pleins lors de pluies abondantes ou canaliser les sources, toutes ces constructions ou merveilles de la nature ont des origines simples à déterminer. Toutes, à l’exception des “arêtes de poisson”. Plus d’un demi-siècle après leur découverte, celles-ci fascinent autant qu’elles questionnent. De quand date ce réseau, à quoi servait-il ? La colline de la Croix-Rousse cache des mystères qui n’auront peut-être jamais de réponse scientifique.

La découverte

Tout commence il y a 60 ans, en 1959, rue des Fantasques, dans le 1er arrondissement de Lyon. Juste au-dessus de l’entrée du tunnel de la Croix-Rousse, côté Rhône. Les services municipaux viennent vérifier un trottoir qui semble s’être affaissé. Cherchant des explications, ils découvrent un puits, au fond duquel s’ouvre un réseau de deux kilomètres de souterrains dont une partie est maçonnée. Ces galeries forment une toile semblable à des arêtes de poisson et possèdent des puits pareils à des antennes. Les premiers secrets apparaissent : des salles sont voûtées, la pierre jaune ne vient pas des environs de la ville mais ressemble à celle que l’on peut trouver du côté de la Saône-et-Loire. Les chanceux premiers visiteurs sont fascinés par la perfection des tunnels, affichant tous 1,90 mètre de large et une hauteur moyenne de 2,20 mètres. 5 m3 d’ossements auraient été mis au jour, disparus depuis sans avoir été étudiés en profondeur.

Au cours des dix années qui suivent, plusieurs explorations sont organisées. Les archéologues recensent alors une structure inédite à Lyon, mais aussi dans le monde. Le tunnel principal de 156 mètres est bordé de chaque côté par 32 galeries de 30 mètres, le tout sur 16 paliers. Un éboulement sous l’église Saint-Bernard rappelle que la structure n’est pas sans danger, personne n’imagine alors ouvrir les “arêtes” au public. À la fin des années 1960, les explorations s’arrêtent et débute le temps des énigmes dignes d’un Da Vinci Code.

Des hypothèses à la pelle

Pendant cinquante ans, les hypothèses sur les “arêtes de poisson” vont se multiplier, y compris les plus fantaisistes. Certains y voient un réseau d’antennes pour communiquer avec on-ne-sait-qui, on ne sait où ; d’autres, des souterrains utilisés par Catherine de Médicis pour ses affaires secrètes. Deux usages sont éliminés rapidement : les arêtes ne servaient pas à transporter de l’eau, leur sol étant inadapté, et même s’il fut envisagé qu’elles pouvaient être transformées en cache d’arme, aucune trace n’a pu le prouver. Dans ce contexte digne du brouillard des Dombes qui s’abattait régulièrement sur la ville, une théorie va prendre le dessus. Walid Nazim, spécialiste de cette construction et auteur du livre L’Énigme des arêtes de poisson, pense que l’édifice remonte au XIIIe siècle et qu’il serait l’œuvre des templiers. Il assoit sa démonstration sur la comparaison du réseau avec celui de Saint-Jean-d’Acre. Pour Walid Nazim, ce réseau ne daterait pas des Romains mais aurait été “réalisé sur plan par des ouvriers spécialisés”, sans doute de manière secrète puisque aucun document n’a été découvert sur sa construction. Enfin, les pierres viendraient du Beaujolais. Pour sa part, le réalisateur Georges Combe plaide pour l’hypothèse de souterrains romains liés au sanctuaire des Trois Gaules et autres processions chamaniques. Il y a consacré un documentaire, Les Souterrains du temps.

L’étude archéologique de 2008

En 2008, lors de la rénovation du tunnel de la Croix-Rousse et le perçage du tube modes doux, la Ville de Lyon lance la première étude archéologique poussée et complète sur les “arêtes de poisson”. On craint que les travaux n’endommagent une partie des souterrains, faisant perdre à jamais les quelques indices encore présents. Des travaux de 1941 en avaient déjà détruit des secteurs, mais personne n’imaginait ce qui se cachait dans la colline (malgré une découverte d’une partie en 1932). Cette étude, dirigée par Emmanuel Bernot, reste le document scientifique le plus poussé sur les arêtes.

On y apprend que l’édifice a été construit en une seule fois, avec des percements de galeries à partir des puits. Le chantier s’est vraisemblablement déroulé d’ouest en est. Au moins 11 500 m3 ont dû être évacués, pour des travaux qualifiés de “titanesques”. Les pierres proviendraient du village de la Salle à plus de 80 kilomètres au nord de Lyon et ont dû être acheminées par la Saône. Au fil de leur exploration, les archéologues ont découvert un nouveau mystère : le chantier a été stoppé net avant d’être achevé. Des galeries non maçonnées indiquent que les arêtes auraient pu être encore plus vastes. Quel événement a mis fin aux travaux ? Manque d’argent, invasion, catastrophe naturelle ? Pas le moindre indice n’apparaît.

Un monument antique

Une question trouve pourtant enfin une réponse. Des analyses au carbone 14 d’éléments des arêtes ont permis d’établir une datation possible : entre le IVe siècle avant Jésus-Christ et le début de notre ère. Pour les archéologues, les arêtes de poisson sont donc bien un édifice antique. Quant à savoir à quoi elles pouvaient servir, ces recherches n’ont pas permis d’obtenir d’hypothèse fiable. Certains archéologues et historiens en viennent même à se demander si elles ont réellement servi un jour puisque aucune trace d’utilisation n’apparaît clairement et que le chantier s’est arrêté.

Reste donc les suppositions, qui sont parfois remises en cause par la seule logique. S’agissait-il de passages secrets vers la Croix-Rousse, de galeries en lien avec le sanctuaire des Trois Gaules (dont on ignore toujours l’emplacement) ou bien de lieux de stockage ? Si c’était le cas, alors ils seraient particulièrement mal pensés, à cause du dénivelé et de la petitesse des tunnels. Les Lyonnais en tout cas seront privés à jamais d’une visite à l’intérieur des galeries : les lieux sont dangereux, d’autant plus que le perçage du tube modes doux a fragilisé la structure par endroits. Plus de deux mille ans après leur supposée construction, les arêtes de poisson sont une hydre qui ne sera jamais expliquée. Quand les chercheurs répondent à une question, de nouvelles apparaissent aussitôt.

Article publié en février 2017, dans Lyon Capitale 763

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