Bernadette Leguil est directrice du Centre Nationale de la Danse à Lyon. Chaque année, derrière les portes de la rue Vaubecour, 500 professionnels sont formés pour enseigner la danse un peu partout en France. Entretien.
Lyon Capitale : Depuis 26 ans, vous travaillez pour le CND Lyon, dont vous êtes directrice. Comment ce centre de formation s’est-il construit ?
Bernadette Leguil : Le centre national de la danse est un établissement créé par le ministère de la Culture, et dont le siège est à Pantin, en région parisienne. Au départ, nous étions peu de personnes, peut-être une trentaine pour l'ensemble de la structure. Chaque équipe arrivait avec son histoire. Aujourd'hui, le CND compte plus de 90 postes à temps plein. À Lyon, nous sommes 8 personnes pour assurer nos missions : la formation des artistes chorégraphiques et des enseignants de la danse. Depuis 1996, nous mettons également à disposition nos trois studios de danse pour les compagnies chorégraphiques de la région.
Le centre national de la Danse à deux établissements, un à Paris, l'autre à Lyon. Pourquoi la ville Lumière a-t-elle été choisie ?
Déjà en 1990, la danse était très présente à Lyon et dans sa région. La Maison de la danse – qui était encore à Croix-Rousse était déjà très active. Il y avait aussi la biennale, le Ballet de Lyon ou le conservatoire supérieur de musique et de danse. Le paysage Rhonalpin était tout à fait adapté à cette localisation. C'est la raison pour laquelle la ville de Lyon a été choisie par le ministère de la Culture pour l'implantation du CND.
"Précédemment, quiconque pouvait enseigner la danse sans formation ni diplômes"
En 1989, une loi relative à l'enseignement de la danse est votée, un diplôme d'État devient obligatoire. Entre 1990 et 1998, différentes structures se succèdent pour porter le projet et aboutir à la création du Centre National de la Danse en 1998. Pourquoi était-ce important de règlementer la profession ?
La pratique de la danse - comme un certain nombre d'activités physiques - peut, si elle est mal enseignée, avoir des répercussions sur la santé qui peuvent être irrémédiables. La première motivation : c'est la santé des enfants et des pratiquants de la danse. En France, le fait que le diplôme d'État soit obligatoire pour enseigner a engendré la mise en place des formations à l'enseignement de la danse. Précédemment, quiconque pouvait enseigner sans formation ni diplôme. C'est impossible à présent.
À l'heure des économies face au déficit public, les budgets ont tendance à être réduits, notamment ceux qui concernent la culture. Êtes-vous confrontées à cela ?
Le CND est soumis aux décisions de l'État en terme de budget. La révision générale des politiques publiques (RGPP) entre 2008 et 2010, puis la réduction des budgets entre 2011 et 2013 ont été difficiles à intégrer dans le budget d'activité. Les ressources ont diminué pendant qu'au contraire, le coût des dépenses fixes – comme les charges ou les loyers- augmentaient. Il nous a fallu nous adapter : inventer de nouveaux formats de formation continue, développer des partenariats, des cofinancements et nos ressources propres. En 2016, la convention triennale que nous avons avec la région arrive à terme. Nous avons un rendez-vous très prochainement pour envisager le renouvellement de ce soutien indispensable aux artistes chorégraphiques et aux enseignants de la danse.
"La danse, c'est leur vie"
Selon vous, la pratique et l'enseignement de la danse répondent-ils à un besoin dans la société ?
La danse, c'est d'abord un art. L'art sert à donner un sens à la vie ou à sa vie. La danse ouvre un champ artistique, le passage par l'imaginaire permet d'accéder au geste poétique. Suivant l'intention qu'on met, le mouvement ou l'expression ne seront pas les mêmes, tout comme le don au public ou la perception de l'élève. La pratique développe également une perception kinesthésique extrêmement fine. C'est extrêmement riche, parce que tout ce qui est intégré par le corps reste. L'apprentissage de la danse est aussi collectif, même si parfois dans la classe technique, chacun travaille pour soi. Je dirai que la danse aide les personnes à être plus en cohérence avec l'intérieur et avec l'extérieur.
La passion reste-t-elle le moteur principal de ceux qui choisissent de faire de la danse leur métier ?
Il y a quelques jours, j'étais membre du jury d'entrée au CNSMD de Lyon. Pour 250 candidats, 30 ont été sélectionnés. Au cours des entretiens, tous nous ont dit qu'il y avait quelque chose de vital pour eux. La danse, c'est leur vie. Au CND, nous accueillons des professionnels, de la jeune compagnie émergente à la plus prestigieuse. C'est la même chose pour tous : la danse et leur métier et leur vie. C'est du temps, de l'énergie et un engagement total. Quelque chose qu'il est difficile de faire à moitié.
La danse permet-elle de vivre correctement, de dégager un salaire ?
C'est un métier réservé à peu de personnes. Quand on est danseur dans une compagnie nationale (Ballet, CNN), on a un salaire régulier. La majorité des danseurs travaillent dans des compagnies indépendantes et sont sous le régime de l'intermittence. Depuis 2003, les danseurs ont subi les effets du changement de protocole, et beaucoup de danseurs qui préparent le diplôme d'État ont peu de ressources et sont proches du RSA. Même dans les compagnies subventionnées, ce n'est pas toujours facile. Par exemple, le montant d'un cachet pour une représentation est d'environ 150 euros par spectacle. Avant une représentation, il y a toujours un minimum de temps de répétition, de préparation, sans compter tout l'aspect et le temps de création du spectacle, qui sont souvent rémunérés au forfait.
"Pour les programmateurs, une compagnie de danse qui n'est pas très connue ou un spectacle qui peut paraître difficile d'accès, c'est prendre un risque en terme de fréquentation"
N'est-ce pas finalement un peu plus facile pour les grandes compagnies que pour les plus petites ?
Certains circuits de diffusion favorisent les grandes compagnies. Certains programmateurs dans des structures de moindre importance peuvent aussi hésiter à programmer une compagnie de danse qui n'est pas très connue ou un spectacle qui peut paraître difficile d'accès. C'est prendre un risque en terme de fréquentation. Ils auront donc plutôt tendance à programmer des "valeurs sûres", ce qui réduit le potentiel de représentation pour les compagnies émergentes. La notion de rentabilité est aussi une donnée à prendre en compte dans certains contextes. Pour être danseur, il faut du courage et du talent. Beaucoup d'entre eux, comme les autres artistes du spectacle vivant, ont de la difficulté à effectuer le minimum requis pour bénéficier des conditions d'indemnisation de l'intermittence.
L'enseignement de la danse a dû évoluer depuis ses débuts. Sauriez-vous dire dans quel sens ?
Il y a 25 ans, certains danseurs arrivaient en se demandant bien ce qu'on allait leur apprendre. À l'époque, l'enseignement de la danse pouvait consister en une reproduction de ce qui avait été vécu et appris. Les mentalités ont évolué. La technique de la danse demande, à partir d'un certain niveau, des qualités physiques, certains dons. Cependant, ce n'est pas parce qu'on n’a pas ces dons-là qu'on ne peut pas pratiquer la danse. En revanche, si on ne les a pas, il est difficile de devenir professionnel. Pendant longtemps dans l'Histoire de la danse et de sa transmission, les personnes douées continuaient et les autres s'arrêtaient. Aujourd'hui, les choses ont changé, tout le monde peut danser.