Mai 68: l'école Tournesol révolutionne la pédagogie

Cette école "parallèle", repère des gauchistes lyonnais, avait conçu l'apprentissage sur le libre choix des enfants. Les écoliers pouvaient choisir entre apprendre et jouer. Deux anciennes institutrices et une mère nous racontent.

En 1973, des parents lyonnais contactent une institutrice, Suzanne Saisse, qui travaille avec le pédagogue Roger Cousinet, l'une des figures de "l'éducation nouvelle". Ces parents veulent rompre avec l'école traditionnelle. Suzanne Saisse, elle, veut aller plus loin que la pédagogie de l'éducation nouvelle telle qu'elle se développe depuis le XIXe siècle : "Je leur ai exposé le premier principe de la future école Tournesol : l'enfant doit avoir le choix de travailler ou pas. Dans les écoles nouvelles, même si les enfants construisaient, dans la négociation, leurs activités, ils n'avaient pas cette liberté-là". La pédagogue parisienne débarque à Lyon et recrute Suzon Bosse-Platière et une autre institutrice. A elles trois, elles vont élaborer ce projet pédagogique fondé sur le libre choix des enfants. "Le mouvement 68 s'est construit contre l'autoritarisme de l'éducation traditionnelle où le maître pensait à la place de l'élève, explique Suzon Bosse-Platière. Pour nous, changer le mode d'éducation, c'était aussi construire une société nouvelle et pas seulement mieux apprendre aux enfants". Les parents acceptent le projet. Ils créent une association pour salarier les trois institutrices et prennent possession du château de Sans-souci, à Limonest, qu'ils acquièrent pour un franc symbolique. A la rentrée de 1973, les institutrices aidées d'une quinzaine de parents bénévoles ouvrent les portes de cette école, non pas "nouvelle" mais "parallèle". 80 enfants s'y pressent. "On les a réunis en assemblée générale, poursuit Suzon Bosse-Platière. On leur a expliqué le projet, les ateliers auxquels ils pouvaient participer. Puis on leur a dit : "Vous pouvez aussi choisir de jouer..." Dans la minute qui a suivi, tous les gamins étaient dehors. On a passé trois mois à leur courir après, dans le parc du château !"
"Il n'y avait pas d'obligation mais des incitations, ajoute Suzanne Saisse. On leur proposait des activités physiques, intellectuelles et pratiques. Je m'occupais des maths et Suzon, de la lecture. Il y avait aussi des ateliers de bricolage, de menuiserie, de sculpture, de mécanique, de musique, en fonction des intervenants qui passaient. Mais dans les premiers mois, les ateliers étaient désertés, ils préféraient faire des feux ou grimper dans les arbres". Durant les premiers mois, les institutrices ne leur ont jamais dit "non", jusqu'à l'élaboration d'une seule règle : "interdit de faire du mal à autrui". "C'est seulement à partir de là qu'on s'est autorisé à dire non aux enfants, précise Suzon Bosse-Platière. Notre changement d'attitude les a apaisés. On a pu construire sur cette base. Les enfants aussi avaient envie d'apprendre comme les autres. On en a tous fait de grands lecteurs mais pas quand les parents le voulaient, quand les enfants en avaient envie. S'ils voulaient passer la journée à démonter et remonter un moteur de voiture, la lecture attendait le lendemain !"
Rapidement, l'expérience pédagogique radicale fait parler d'elle. "C'est devenu une véritable ruche où il fallait être quand on était gauchiste", commente Suzon Bosse-Platière. La deuxième année, des écolos, anarchistes et autres sympathisants d'extrême-gauche créent un jardin d'enfants pour les moins de cinq ans. "Les enfants étaient libres de découvrir en petits sauvages, explique Catherine Mounier, qui a participé à la création. Ils faisaient des barrages, jouaient avec la boue et faisaient la sieste quand ils le souhaitaient. Sans chauffage, ils vivaient à moitié nu, hiver comme été. Mais ils n'ont jamais été malades ! Nous, parents, nous nous occupions des corvées : toilettes, bouffe, accompagnement". Progressivement, les parents fondateurs, "bourgeois éclairés", ont laissé la place à un majorité de gauchistes. Suzon Bosse-Platière : "Ils venaient pour eux, davantage pour débattre de politique ou parler de leurs problèmes personnels que pour s'occuper de leurs enfants. Et vu leur côté "jouir sans entrave", ils supportaient moins les contraintes qui permettaient de faire tourner l'école". L'accumulation de ces dysfonctionnements et le manque de moyens (les parents payaient au prorata de leurs revenus) ont eu raison du Tournesol. Quelques autres écoles ont repris le flambeau mais aucune n'a tenu le coup. "Je ne regrette rien, conclut Suzon Bosse-Platière. Les enfants ont réussi. Sur les 150 qui sont passés par le Tournesol, un tiers était en échec scolaire en entrant. Une fois arrivés au collège, seulement cinq enfants ont redoublé. Notre expérimentation a fonctionné : on a appris à tenir les exigences de la réalité (l'obligation d'instruction) en répondant aux demandes des enfants. Cette tension a créé une dynamique exceptionnelle pour la créativité des enfants et la réflexion des adultes"..

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