Révolutionnaire tendance Mao, elle abandonne rapidement ses études de sociologie commencée à Nanterre pour partir à l'usine. D'abord chez Brandt (électroménager) puis à Paris-Rhône (équipementier automobile), six ans durant.
"Je suis arrivée à Lyon en 1976. J'avais 22 ans. Mon mari était ouvrier. Je l'ai suivi. Issue de la classe moyenne de la région parisienne, ce sont mes potes du lycée qui m'ont initiée au maoïsme. J'étais persuadé que la révolution passerait par classe ouvrière. Je ne pouvais donc pas ne rien connaître d'elle. J'ai donc commencé en interim chez Brandt, à Gerland, pendant huit mois. Les cadences étaient très dures. Au bout de mon contrat, ils ne m'ont pas prise. J'ai trouvé ensuite de l'embauche à Paris-Rhône, l'une des plus grosses entreprises de l'époque, avenue Mermoz (à l'emplacement de la future clinique). Je suis resté six ans, à la chaîne, à visser des alternateurs. Dès mon arrivée, j'ai adhéré à la CFDT. Le syndicat était complètement au main des gauchistes. J'y ai retrouvé une poignée de maos de toutes les tendances mais aussi des prêtres ouvriers. Une vraie auberge espagnole ! Dès le début, je n'ai pas mis en avant mes idées politiques car j'ai ne me sentais pas d'aller parler aux ouvriers de la dictature du prolétariat. Nos tracts et nos journaux étaient très intellos. On était en décalage.
A Paris-Rhône, la CFDT était le premier syndicat. On se montrait plus radical que la CGT. On n'arrêtait pas de faire des tracts, de lancer des débrayages : contre les heures supplémentaires, pour l'égalité salariale ou contre le changement de cadences. Ceci dit, les journées à la chaîne étaient très longues. Je revois cette grande horloge qui n'avançait pas.
Petit à petit, j'ai arrêté de militer dans mon groupe maoïste. Je leur reprochais d'être totalement déconnectés de la réalité de l'usine. Malgré tout, je suis resté à Paris-Rhône. On était une bonne équipe, ça nous faisait supporter le bagne.
Progressivement, je ne m'y suis plus retrouvée. J'avais réussi à m'intégrer avec les autres ouvrières. Mais je me suis rendue compte que je n'avais pas les mêmes aspirations. J'avais une culture bourgeoise par mes parents et je rêvais de révolution alors que les ouvriers voulaient seulement gagner un peu plus. Quand j'ai annoncé à mes collègues syndiqués que je partais commencer une formation d'infirmière, ils m'ont traitée comme une renégate. Par contre, les femmes avec lesquelles je travaillais m'ont toutes dit que je faisais ce qu'elles rêvaient de réaliser.
Certains établis ont l'impression d'avoir perdu une partie de leur jeunesse à l'usine. Moi, je ne regrette rien, au contraire. Je me suis formée politiquement. Fondamentalement, j'ai les mêmes idées mais je me méfie davantage des discours politiques. Je suis toujours anticapitaliste. Avant, pour moi, c'était claire : il suffisait que la classe ouvrière renverse le capitalisme. Maintenant rien n'est simple..."