Rencontres, débats et lectures continuent aux Assises Internationales du Roman jusqu'au 29 mai. Lyon Capitale poursuit sa plongée dans la littérature contemporaine avec les auteurs invités lors de cette édition. Rencontre avec Maylis de Kerangal (retrouvez aussi les interviews de Philippe Forest et d'Olivia Rosenthal).
Êtes-vous déjà venue pour les Assises Internationales du Roman ? Quel regard portez-vous sur l’événement ?
C'est la première fois que je suis invitée à cette manifestation, mais elle se prépare depuis l'automne avec une grande attention. J'y viens disponible, avec beaucoup de curiosité.
Lors de votre venue vous participerez à une rencontre autour du thème « La Mondialisation : vertige du temps et de l’espace », dans quelle mesure ce sujet vous semble faire écho à vos œuvres (et surtout à votre dernier roman Naissance d’un pont)?
Ce dernier roman fait effectivement de la mondialisation un motif omniprésent. Elle sous-tend le texte, et détermine aussi la tension narrative. Écrire le récit de la construction d'un pont dans une ville en plein essor induisait de se pencher sur les aspects économiques d'un tel chantier et sur la manière dont il vient troubler, perturber l'espace. Finalement, le chantier de ce pont rend manifestes les paradoxes de l'économie mondialisée, et principalement cette notion de frontière.
Pour poursuivre autour du « vertige », votre écriture est magnifiquement vertigineuse dans Naissance d’un pont, comment est né ce « roman-monde » et est-ce que c’est justement ce caractère d’Odyssée mondiale qui a insufflé une telle grandeur dans votre écriture ?
Difficile pour moi de répondre à une telle question ! Votre référence à Homère me touche mais sans aller jusqu'à évoquer l'Odyssée, je dirai seulement qu'il y avait avant tout, au commencement même de ce roman, le désir d'écrire une épopée contemporaine. Un roman où l'action collective fonctionne comme le moteur de la fiction, son carburateur interne. Le chantier du pont convoque des centaines d'hommes et de femmes qui vont travailler ensemble et je crois que de fait, la nature épique du texte impliquait de trouver une écriture qui puisse porter ce projet littéraire, avoir une ampleur panoramique mais aussi savoir changer de focale pour toucher les émotions des personnages, jouer sur les vitesses. Il fallait surtout trouver un rythme, tenir une cadence spécifique pour accompagner ce grand mouvement, cette espèce de branle-bas.
Lors de cette rencontre aux Assises, vous serez accompagnée d’Etienne Klein, physicien et philosophe, et Harmut Rosa, philosophe et sociologue. D’après vous qu’est-ce qu’apporte le roman à la réflexion autour de la mondialisation (par rapport au concept analysé d’un point de vue philosophique ou sociologique) ? Que peut nous dire le roman sur la mondialisation ?
Le roman, comme genre absolument plastique, protéiforme et omnivore, est peut-être l'expression la mieux à même de saisir la mondialisation, d'en capter la puissance et la violence — cela parce qu'il peut prendre en charge ce phénomène en puisant dans les écritures documentaires et scientifiques, en passant par l'enquête ou l'entretien, tout ce qui faire muter la mondialisation en fiction. Le roman a la capacité de faire de la mondialisation une expérience sensible, d'en incarner les figures, de donner corps à la mondialisation.
Ni fleurs ni couronnes, La Vie voyageuse, … Autant de récits qui sont résolument tournés vers un ailleurs, vers le monde. Pourquoi ? Quand vous pensez « monde », pensez-vous « mondialisation » ?
Je crois que mon travail essaie d'entrer en empathie avec le monde tel qu'il est, et qu'il se nourrit dès lors d'une tension vers ce qui m'est inconnu, extérieur, hétérogène. La mondialisation y est présente comme force d'attraction. C'est aussi l'idée que " l'émotion ne dis pas "je", on est hors de soi." (Goethe). Je crois que, dans mes derniers romans, la fiction prolifère sans doute pour sortir hors de ce "je", et peut-être aussi pour le trouver.
Rencontres avec Maylis de Kerangal: Jeudi 26 mai, 18h, rencontre organisée par l'Institut français de l'éducation à l'Université Lumière Lyon 2. Vendredi 27 mai, 15h, Le Progrès, La Confluence. Samedi 28 mai, à 11h, médiathèque Jacques Prévert, Moins, et à 18h30, aux Subsistances. Le programme des Assises: https://air.villagillet.net/.