Avec seize danseurs et huit musiciens sur scène, le chorégraphe Mourad Merzouki et le musicien Franck-Emmanuel Comte ouvrent ce vendredi les Nuits de Fourvière 2018 tel un feu d’artifice. Leur “Folia” est une pure création qui relie le hip-hop à la musique baroque, en passant par l’électro !
Le premier est le chorégraphe hip-hop que l’on connaît, le second dirige le Concert de l’Hostel Dieu, acteur majeur de la scène baroque française. Mourad Merzouki et Franck-Emmanuel Comte se connaissaient pour avoir déjà collaboré sur 7 Steps en 2014. Si cette pièce 100 % féminine avait un intérêt certain, aujourd’hui le défi est tout autre, notamment pour Mourad Merzouki qui s’apprête, pour la première fois, à déployer un ballet de seize danseurs accompagnés de huit musiciens et d’une chanteuse lyrique sur l’immense scène de Fourvière. En s’accordant au talent de Franck-Emmanuel Comte, qui a assuré la conception musicale, le chorégraphe cherche une fois de plus la mise en danger artistique pour créer des espaces de danse inconnus.
Entretien avec Mourad Merzouki et Franck-Emmanuel Comte (Concert de l’Hostel Dieu)
Lyon Capitale : Que signifie “Folia” ?
Franck-Emmanuel Comte : C’est une danse baroque d’origine portugaise, puis espagnole, italienne et française, qui revêt un côté très métissé aux XVIIe et XVIIIe siècles. Elle est faite d’un thème unique avec plein de variations. Dans ce spectacle, on joue plusieurs folias, dont une très connue de Vivaldi pour laquelle on a gardé quatorze variations, qui sera un des moments forts du ballet.
Il y a aussi cette notion de folie ?
FEC : Oui, il y a une espèce de double jeu avec le terme de folie, qui renvoie à une danse joyeuse mais brillante, très virtuose, avec énormément de mouvements, de développements, de variations ; c’est donc une folie créative, une folie qui est libérée de plusieurs façons. Dans Vivaldi, on retrouve la virtuosité principalement par le violon et le violoncelle. Pour notre choix musical, on s’est amusé avec cette idée de choses qui débordent en termes de canevas musical et chorégraphique mais surtout de déraison. L’idée est de fournir à Mourad un support musical qui ne soit pas celui qu’on attend quand on parle de musique baroque, qui ne soit pas cadré ou étroit mais au contraire qui fleurit et explose aussi par moments.
Comment se fait cette explosion ?
FEC : On a laissé une large place à l’improvisation, on a imaginé beaucoup de formes évolutives et on se permet des orchestrations qui ne sont pas forcément baroques, entre autres en travaillant avec la musique électronique. Notre souhait, c’est d’aller dans cette libération, dans cette augmentation, en fait ce que l’on propose c’est une espèce de musique baroque augmentée par les métissages avec les musiques plus populaires comme les tarentelles et l’électro, mais aussi par la danse en travaillant en live avec les danseurs.
Et pour vous, Mourad, que signifie la notion de folie sur cette création ?
Mourad Merzouki : Tout d’abord, je dirais que pour moi la première des folies est ce pari de travailler avec des musiciens au plateau, car habituellement j’ai des bandes-son. Le live nous fait aller plus loin à l’intérieur de quelque chose qui n’est plus rigide. Il nous permet de chercher, d’étirer un temps musical au regard de la danse. La danse et la musique peuvent ainsi évoluer ensemble et le fait de créer des espaces d’improvisation permet aussi aux danseurs de retrouver la liberté du hip-hop. Après, le hip-hop est folie ! On connaît cette danse pour sa rage, sa façon de toucher le spectateur, son énergie, sa générosité, la spontanéité, c’est toujours cela que je cherche dans mes spectacles, mais en convoquant aussi la poésie. L’idée ici est de passer par toutes les folies, pas simplement celle que l’on voit dans le hip-hop, tel qu’on peut l’attendre. Le challenge est encore une fois de donner à voir de nouvelles images. Mon envie, et celle de Franck-Emmanuel, est de bousculer le répertoire baroque et le hip-hop pour créer des espaces de danse inconnus.
C’est la première fois que vous créez avec une chanteuse lyrique sur scène ?
MM : Le défi, pour moi, c’est de mettre en scène tous ces corps et de ne pas mettre d’un côté les danseurs et les musiciens de l’autre. Il est important de démontrer que le dialogue est possible, de travailler en proximité et de faire en sorte que la chanteuse fasse partie de la chorégraphie. Effectivement, c’est la première fois que je fais évoluer une chanteuse, avec le son, la voix, et sa présence est impressionnante pour tous. C’est passionnant, car je découvre une nouvelle expression qui me permet d’essayer de nouvelles choses en y embarquant les danseurs qui, eux aussi, se trouvent dans une nouvelle aventure.
FEC : La voix a ce côté organique et charnel des danseurs, il y a quelque chose de commun, elle est dans le corps, alors que les instruments représentent quelque chose de plus technique, plus intellectuel dans la production de l’art. La voix a le côté spontané des danseurs, c’est une expression qui vient du plus profond et qui touche les gens.
Il y a douze interprètes hip-hop et quatre venant du contemporain et du classique, pourquoi ce choix ?
MM : Ce n’est pas un choix, c’est le hasard. Comme toujours j’essaye d’avoir des corps différents, des histoires différentes. Il y aura deux danseuses sur pointes et c’est la première fois également que je travaille avec cette technique. Cette rencontre me permet d’aller plus loin dans mon approche du corps, ses possibles et comment cela influe sur l’écriture de la chorégraphie.
“Folia” est une création importante, qui ouvre les Nuits de Fourvière, la pression doit être immense…
MM : C’est une pression énorme et en même temps une aventure qui est un vrai luxe lorsque l’on connaît le peu de moyens qu’ont les compagnies de danse actuellement. Mais je suis heureux car je n’avais jamais relevé un tel défi avec autant de disciplines différentes. Même si le dispositif est lourd, Folia est conçu pour être présenté dans des théâtres et j’espère qu’il tournera après, car je ne peux m’empêcher de penser que ce spectacle aura cette vertu pédagogique de faire découvrir la musique baroque à d’autres publics que des connaisseurs.
Mourad Merzouki / Folia – Conception musicale de Franck-Emmanuel Comte
Vendredi 1er, samedi 2 et lundi 4 juin au théâtre antique (Lyon 5e) dans le cadre des Nuits de Fourvière 2018