Möbius - Cie XY et Rachid Ouramdane © Cholette – Lefébure
Möbius – Cie XY et Rachid Ouramdane © Cholette – Lefébure

Möbius à la Maison de la danse de Lyon : l’envol des corps

Avec une écriture centrée sur les portés acrobatiques, les circassiens de la compagnie XY se transforment, sous l’œil de Rachid Ouramdane, en “murmurations”, ces nuées d’étourneaux qui dessinent dans le ciel des chorégraphies vertigineuses et fulgurantes.

Le fondement du travail de la compagnie XY réside dans cette notion très forte du collectif, sans lequel les risques ne pourraient se prendre et qui leur permet de démultiplier, de déployer leurs envols et leurs incroyables pyramides humaines très haut dans l’espace. Après Il n’est pas encore minuit, grand succès de la Biennale de la danse 2014, on les retrouve enfin à Lyon avec dix-neuf acrobates accompagnés par le chorégraphe Rachid Ouramdane. Möbius, le titre de leur pièce, évoque ce ruban qui possède un seul côté tout en déployant un ou plusieurs retournements. Il illustre l’idée d’un continuum, d’un mouvement qui ne s’arrête pas, dont s’empare le collectif autour d’une recherche sur les murmurations, ces ballets réalisés par des nuées d’oiseaux qui apparaissent, disparaissent, s’étirent dans l’espace pour se resserrer sans jamais lâcher le groupe.

“On fait ensemble, sinon on meurt”

“On a pensé cette pièce, nous explique l’acrobate Airelle Caen, comme une pièce d’un seul mouvement qui va à l’encontre d’un enchaînement systématique de séquences ou de numéros, avec quelque chose de très fragmenté. On voulait créer une pièce où on ne voit pas que cela se transforme et pourtant ça se transforme tout le temps. Quand on regarde les murmurations, on est fasciné. C’est un peu notre point d’entrée, ces milliers d’individus qui poussent comme ça sans jamais se cogner et en même temps la forme d’une murmuration est en mouvement perpétuel, elle n’est jamais deux fois la même. Pour nous, c’était le plus poétique, en charge du philosophique et du faire ensemble qu’on a pu trouver. Du coup, c’est dans la perpétuelle attention aux autres que les choses se passent et ainsi de suite et ça continue d’évoluer, on n’est jamais deux fois exactement dans la même chose. C’était toute cette magie qui nous intriguait. Avec la murmuration, on n’est plus dans le “regardez, on est une bande d’acrobates”, on est dans la nécessité de faire ensemble, on n’a plus le choix dans la vie : les hommes entre les hommes, les hommes avec la nature, il faut qu’on se prenne en charge collectivement, on fait ensemble sinon on meurt !”

Cie XY & Rachid Ouramdane / Möbius – Du 4 au 8 février à 20h30 (sauf mercredi 5, 20h) à la Maison de la danse

–> En plus : bord de scène le 5 à l’issue de la représentation


Une rencontre naturelle, pour Rachid Ouramdane

Le chorégraphe Rachid Ouramdane © Géraldine Aresteanu
Rachid Ouramdane © Géraldine Aresteanu

Codirecteur avec Yoann Bourgeois du centre chorégraphique national de Grenoble, Rachid Ouramdane développe depuis plusieurs années une écriture faussement brouillonne pour de grands ensembles qui s’appuie sur l’accumulation de motifs chorégraphiques à très grande vitesse, pour inventer une danse où tout échappe au regard. Un travail qui fait écho à celui de la compagnie XY.

Comment s’est faite cette rencontre avec XY ?

Rachid Ouramdane : Autour d’une appétence commune à vouloir confronter son langage à d’autres langages, d’autres artistes. J’ai l’habitude d’aller à la rencontre des gens, pour des récits de vie, pour un savoir-faire, pour collecter des témoignages. On s’est rencontrés et on a discuté sur comment parler des mouvements de foule, des déplacements par nuées, de ces choses qui m’avaient déjà préoccupé ces dernières années. J’ai chorégraphié pour de grands ensembles comme le ballet de l’Opéra de Lyon avec Tout autour, le Ballet de Lorraine avec Murmuration ou encore Franchir la nuit avec des enfants migrants. On s’est retrouvés naturellement sur l’envie d’investir encore plus l’espace aérien avec des déplacements en horde, sur l’envie de construire en même temps que cela se transforme.

Comment avez-vous travaillé avec les acrobates ?

Dans les deux sens. Ils ont fait des propositions, j’ai regardé et j’ai aussi fait des propositions. C’était un challenge de mettre en avant leur savoir-faire, c’était important de partir de leur grammaire, de leurs difficultés. Pour avoir cette impression que tout le monde est traversé par un mouvement commun, on a fait un travail de synchronisation comme de l’horlogerie car il fallait que l’autre parte dans la traînée du premier. L’endroit où j’ai été le plus présent, c’est aussi avec un regard sur les entrées, les rythmes, les vitesses, pour rajouter parfois un cran en complexité, pour créer un brouillage visuel, créer une écriture par avalanche, en dominos, en ondes. Ils ont beaucoup travaillé, leur vocabulaire est riche, inventif et c’était intéressant pour moi d’être un relais sur le continuum. Ils sont dix-neuf au plateau en permanence, il n’y a pas de solos, de duos, on est avec une nuée d’acrobates qui évolue du début jusqu’à la fin.

Après la création, quel est votre regard sur cette rencontre ?

Dans mon travail, ce qui m’intéresse, c’est de saisir des gens qui dans leur rapport au corps nous disent un état d’urgence. Comme lorsque je chorégraphie avec des enfants migrants, des athlètes de haut niveau ou avec Laura, cette danseuse qui danse sur elle-même depuis son enfance. Avec XY, j’ai rencontré cette façon qu’ils ont de prendre des risques pour montrer combien l’autre est nécessaire. Cette expérience m’a aussi particulièrement sensibilisé au fait d’écrire pour l’aérien. Ma prochaine pièce se fera avec des sportifs de l’extrême comme ceux qui se propulsent à plus de quatre mille mètres d’altitude. Il y a dans ce qui les pousse à autant de prise de risque quelque chose de philosophique. Quels sont les espaces que l’on peut investir, où l’on peut évoluer ? Comment sera l’environnement, comment composer avec ? Ils veulent voler, ils cherchent ailleurs comme si leur condition d’êtres humains ne les satisfaisait pas. Tout cela raconte quelque chose de l’état du monde aujourd’hui.


[Article extrait du cahier Culture de Lyon Capitale n° 796 – Février 2020]

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