Le musée des Beaux-Arts de Lyon révèle le caractère iconique du tableau de saint François d’Assise de Francisco de Zurbarán conservé dans ses collections et son influence auprès d’artistes du XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui.
Première œuvre de Francisco de Zurbarán (1598-1664) – un des plus grands maîtres de la peinture du Siècle d’or espagnol – à avoir rejoint les collections d’un musée français (en 1807), le tableau de saint François d’Assise est considéré par les spécialistes de la peinture espagnole comme l’un de ses chefs-d’œuvre.
L’exposition est exceptionnelle car elle réunit pour la première fois les trois tableaux du peintre représentant saint François d’Assise, mort mais paraissant vivant, conservés au musée des Beaux-Arts de Lyon, au Museum Nacional d’Art de Catalunya de Barcelone et au Museum of Fine Arts de Boston avec l’objectif d’expliquer, à partir d’une seule œuvre, ce qu’est un chef-d’œuvre et pourquoi il a toujours impressionné les visiteurs et des générations d’artistes depuis sa création en 1636. Elle rassemble une centaine d’œuvres créées entre le XVIe et le XXIe siècle, incluant peintures, sculptures, dessins, gravures, photographies et pièces de haute couture.
Une iconographie d’une extrême rareté
Le début du parcours nous montre d’autres peintures de Zurbarán, tel le bouleversant Un Peintre devant le Christ en croix, qui caractérisent un art d’une grande force visuelle et d’un profond mysticisme, nous faisant découvrir par la suite les représentations du saint, en extase et rempli d’humilité, de Rubens et du Greco.
Au cœur de l’exposition, les trois tableaux impressionnent – en particulier celui de Lyon – avec des sculptures au centre qui renvoient à l’approche très sculpturale de l’œuvre.
“Son iconographie est extrêmement rare, nous dit Ludmila Virassamynaïken, commissaire de l’exposition. Il ne s’agit pas d’un épisode de la vie du saint mais de la représentation d’une vision qu’aurait eue en 1449 le pape Nicolas V, découvrant deux siècles après sa mort, dans la crypte de la basilique San Francesco d’Assise en Italie, son corps intact debout sur une estrade avec les chairs rosées d’une personne vivante, en extase et en communication avec le divin, portant des stigmates avec du sang frais à l’instar du Christ. Tandis qu’avant et après Zurbarán, on représente la scène de manière globale et narrative avec les différents protagonistes, lui isole la seule figure de saint François, il nous met à la place de ceux qui auraient découvert son corps et nous invite à faire l’expérience de cette vision. Ce qui frappe aussi est la grande économie de moyens qu’il a mise en place et qui confère ce caractère d’icône, quasi énigmatique de saint François. L’image est à la fois simple et sophistiquée, il réduit les volumes à l’essentiel, son corps n’est évoqué qu’à travers les volumes de l’habit et l’on perçoit juste une petite partie du visage, réduit aussi à l’essentiel et de manière quasi géométrique, Zurbarán use pour cela des contrastes puissants entre l’ombre et la lumière. Les pigments utilisés ont été analysés, il s’agit de terres sévillanes, il y a très peu de tons, des bruns essentiellement, déclinés avec une grande subtilité.”
La restauration du tableau de Lyon pour l’exposition a permis de redécouvrir des éléments comme la signature de l’artiste et la date de création, le pied gauche avec un stigmate et la partie gauche de l’arcade, une matière originale en bon état, sans dessin sous-jacent préparatoire, exécutée avec une touche rapide et précise : “C’est un chef-d’œuvre d’un point de vue technique et de la réalisation. Il y a des différences entre les trois et c’est normal car cela dépendait du commanditaire mais sans vouloir les comparer, celui de Lyon est considéré par les spécialistes internationaux comme étant le plus beau.”
Mode et art contemporain
Après les représentations du saint par des peintres lyonnais du XIXe – Fleury Richard, Hippolyte Flandrin, Jean Carriès –, on découvre les réappropriations d’artistes contemporains qui souvent font référence au manteau de moine et à la capuche, cernant ou faisant disparaître le corps, évoquant la méditation mais aussi le dénuement et la solitude de l’être humain.
Avec Moth (2015), Owen Kydd se projette lui-même vêtu d’un jean et d’un hoodie et interroge le caractère éphémère de l’existence tandis qu’Eve Malherbe transforme le manteau en combinaison de peintre et illustre la précarité de l’artiste.
Puisant dans les nombreuses peintures de saint François réalisées par Zurbarán tout au long de sa carrière (plus de cinquante), trois personnalités de la haute couture ont réalisé des œuvres marquantes déployant, comme le maître, simplicité apparente et grande sophistication, avec des coloris inspirés de la terre. On découvre les belles pièces prêtées par le musée Galliera de Paris et le Metropolitan Museum of Art de New York : l’imperméable à capuche (1967) de Balenciaga, la robe longue avec ses plis sculptés (1947) de Madame Grès et le magnifique ensemble pèlerine à capuche et robe (2014) d’Azzedine Alaïa, hissant la haute couture au rang de l’art.
Une exposition qui fera date ?
“C’est une exposition importante, répond Ludmila Virassamynaïken, parce qu’il y a des œuvres qui viennent de différents pays d’Europe et des États-Unis, elles sont fragiles et les faire venir est une prise de risque. C’est aussi un coût très important pour la collectivité, avec un impact écologique. Aussi, quand on met en œuvre de tels projets, il faut apporter de la nouveauté aux visiteurs et faire avancer la recherche. Notre mission est double : faire avancer la connaissance et la diffuser au plus grand nombre. Faire date n’est pas mon but. Il est de montrer que les images anciennes continuent d’avoir une actualité pour les créateurs et les visiteurs, de relier les générations entre elles et je trouve que les jeunes générations sont très ouvertes à ces dialogues, ces correspondances entre art ancien et art contemporain.”
Zurbarán. Réinventer un chef-d’œuvre Jusqu’au 2 mars au musée des Beaux-Arts de Lyon – mba-lyon.fr