À 92 ans, il en a vu passer, des débâcles et des cadavres, comme il a vu presque naître, et en tout cas mourir, des Duchamp et des Picasso. Et, si sa réputation souffre d’être le peintre d’une bourgeoisie lyonnaise confite et naphtalinée, Jacques Truphémus reste un gamin émerveillé par l’immarcescible beauté de la nature, qu’il continue à peindre tout simplement, dit-il, parce qu’il “fait ce qu’[il] a à faire”. Près de trente ans après sa dernière exposition au musée des Beaux-Arts de Lyon, il y revient pour présenter des toiles encore fraîches.
Fils du peuple, Jacques Truphémus effectue, à 8 ans, sa première visite au musée de Grenoble. Un musée d’avant-garde ayant, depuis 1919, un conservateur visionnaire, Andra Frarcy, qui expose déjà Matisse, Bonnard, Picasso – que Paris ne découvrira dans son musée d’Art moderne qu’en… 1937 ! Ce musée, Jacques Truphémus, ne cessera de le fréquenter. Il reçoit là chocs et émotions. Il y trouve ses références, sa “famille” comme le titre le dernier ouvrage à lui consacré : Matisse, Picasso, Bonnard. Mais encore : Boudin, Fantin-Latour, David, Guétal, Dufy, Villon, Léger, Derain, Vuillard, Rouault puis Soutine, Bacon, Chagall et Soulages. Des peintres, quoi ! Et sa vie sera – est – consacrée à la peinture.
Jacques, un homme simple
De ses origines dauphinoise et populaire, il garde la simplicité, la modestie et un esprit espiègle et amusé qui ne sont pas dignes d’un quelconque footballeur ni d’un aussi quelconque critique d’art “à la botte”. Une fidélité encore à ses objectifs, puisqu’il continue à peindre quatre à cinq heures par jour, debout, malgré des jambes défaillantes. La tête, elle, ainsi que le coup de pinceau et le coup de fourchette fonctionnent “à pleins tubes” de couleurs. D’ailleurs, son atelier transpire la térébinthine. Il a sans doute appris la contemplation dans les paysages dauphinois parcourus avec son père ; sa part de silence et d’intimité.
Truphémus, un peintre libre
Les sujets de sa peinture restent la nature et les humains, les gens de passage et les scènes de bistrot dans l’ordre et le désordre du temps. L’hiver, ce sont les brumes, les ocres, les serveuses, les passantes, la lumière et les effacements de sa ville, Lyon. L’été, c’est l’éclatement des Cévennes, au Vigan. Ses dernières peintures le révèlent. C’est extraordinaire de vie, de jeunesse, de liberté. Les couleurs oublient l’effacement pour l’effusion. Le blanc des fonds gagne pour mettre en valeur le seul sujet d’une nature exubérante et, comme l’écrit son ami, le vrai poète François Montmaneix, reprenant George Sand, pour “laisser verdure”.
Matisse, Bonnard ou Cy Twombly l’avaient précédé dans ce processus d’émancipation de tous les carcans du fait de peindre. Tout n’est que couleur, jouissance, soleil et gestualité. Une concentration de “Beau” qui, là, est moins que jamais “bizarre”. Juste sous nos yeux.
À l’occasion de la parution de l’ouvrage Jacques Truphémus en famille*, le musée des Beaux-Arts de Lyon présente un accrochage d’une dizaine d’œuvres de l’artiste. Les réalisations les plus récentes de Jacques Truphémus sont montrées en compagnie de deux œuvres des années 1970 issues des collections du musée. L’ensemble de ces œuvres est à découvrir dans les collections du XXe siècle du musée, au côté d’œuvres d’Édouard Vuillard et de Pierre Bonnard.
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* Jacques Truphémus en famille – L’homme, le peintre, l’œuvre à la lumière des trésors des XIXe et XXe siècles du musée de Grenoble et du musée des Beaux-Arts de Lyon, par Denis Lafay, préface de Jean Clair, RH Éditions, déc. 2013.
Accrochage Jacques Truphémus. Jusqu’au 14 janvier, au musée des Beaux-Arts, place des Terreaux, Lyon 1er.