En ce début d’année, une poignée de musiciens aurhalpins rend un précieux hommage en jolie demi-teinte à ce voyageur en solitaire de la chanson française qu’est Jean-Louis Murat, picorant quelques trésors, souvent cachés, dans une œuvre pléthorique. Un bel artisanat de reprises baptisé AuRA aime Murat ! et qui rend enfin grâce (et justice) à un caractère aussi trempé que ses chansons sont délicates.
On peut tout à fait n’aimer personne et être aimé et/ou admiré de beaucoup de monde. Jean-Louis Murat le prouve – bien indirectement – encore une fois.
À force de coups de gueule et d’interviews le nez plongé jusqu’aux sinus dans un pot de moutarde, à déboîter à peu près tous ses confrères – ou du moins ceux que l’on considère injustement comme tels (Voulzy, Johnny, Renaud, Manset, et même Angèle plus récemment) – son chef-d’œuvre étant : “Renaud est tellement con qu’on devrait l’appeler Citroën” –, fut un temps où, plus que pour ses albums, Murat était davantage invité à la télé (les Ardisson/Ruquier s’en firent une spécialité) parce qu’il incarnait le bon client jamais à court de vocabulaire pour débiner la terre entière et offrir “un vrai moment de télé” que pour l’intérêt réel que suscitaient ses publications métronomiques.
L’intéressé avait compris qu’il n’y avait guère d’autres moyens de vendre ses disques d’artisan au public du samedi soir – et encore. Il finit par en revenir parce que ces choses-là finissent par vous retomber dessus comme la cabane tombe invariablement sur le chien.
D’amuseur public, Murat devint rapidement l’atrabilaire de service à l’antipathie congénitale. Une réputation qui n’empêche néanmoins pas Murat d’être aimé par beaucoup de ses pairs et de ses héritiers, admiratifs de cette figure du chevalier blanc qui aime à s’habiller de noir. Parce qu’il y a dans cette attitude sans concession quelque chose comme une forme de pureté que sa musique nous sert avec une délicatesse certaine, à mille lieues de la dureté de ses coups de gueule.
Génération Murat
Les preuves de cet amour ne sont pourtant pas légion et c’est ce à quoi remédie une poignée de musiciens muratophiles, tous ressortissants aurhalpins, soucieux de rendre un hommage à la statue du Commandeur Murat.
Parce que Murat est avant tout un auteur-compositeur régional dont les chansons sont régulièrement irriguées des cours d’eau de chez lui, hérissées des montagnes qui le surplombent – le regroupement des régions de 2015 aura au moins eu ceci de positif qu’il nous a permis d’annexer Murat à Rhône-Alpes en alpaguant l’Auvergne.
Alors bien sûr, comme on n’est pas chez “Génération Goldman” et parce qu’il s’agit avant tout de rendre hommage à un “compagnon du devoir” de la chanson française et pas à un industriel du tube, on ne compte pas ici d’artistes se pavanant en tête des hits parades ou d’Enfoirés notoires : pas de Matt Pokora, de Jenifer ou de Zazie, pas même de Biolay – qui compte parmi ses admirateurs – pour faire la jonction.
Pas non plus de maison de disques à la puissance atomique ou de partenariat onéreux pour financer la chose, acheter des publicités à diffuser avant “The Voice” et faire sauter la caisse. C’est à l’initiative, modeste, de l’agence musicale Stardust, menée par le musicien lyonnais Stan Mathis, que le projet naît via un nécessaire crowdfunding. Une vingtaine d’artistes, à classer dans la catégorie des indés voire de l’émergence pour certains – émergence parfois un peu éternelle, malheureusement –, se regroupent et piochent alors dans la discographie pléthorique de Murat pour en livrer des versions amoureuses mais jamais dévotes.
Le tout parrainé par deux des figures les plus singulières du rock(-chanson) indé hexagonal : Silvain Vanot, qui fut en son temps le protégé de Murat, et Erik Arnaud, qui a en commun avec son aîné d’avoir régulièrement pourfendu, mais en chanson, les tartuffes de la Sainte Variété – tout en ayant commis en son temps une fort aride mais déchirante reprise de Tous les cris, les SOS de Balavoine, comme quoi…
Minimalisme muratien
Ici ce n’est pas tout Murat qui est passé en revue, il faudrait plusieurs volumes, du temps, beaucoup de temps, et une poignée d’albums manque à l’appel de la représentativité d’un disque qui court pourtant de la fin des années 80 et Cheyenne Autumn au récent La Vraie Vie de Buck John.
D’autres, comme Dolorès et le double Lilith – deux albums phares de l’ermite auvergnat –, sont généreusement servis avec trois chansons chacun. Ici les tubes – la notion est toutefois relative – comme Tout est dit (Adèle Coyo sur une ligne de guitare erratique), Fort Alamo (Erik Arnaud, magistral) ou Au mont sans souci (Frederic Bobin) et dans une moindre mesure Rouge est mon sommeil (Silvain Vanot), Le Troupeau (Gontard), Les jours du Jaguar (un classique ferrugineux des live de Murat, ici repris par Alain Klingler) sont plutôt sous-représentés par rapport aux chansons plus confidentielles, connues des seuls fans hardcore : Dieu n’a pas trouvé mieux (Chevalrex), Marlène (La fille de la côte), Comme un incendie (Stan Mathis, pour le coup incendiaire), Perce neige (Stéphane Pétrier de Voyage de Noz) ou Terres de France (Whatever[shebringswesing], la formation experte en reprises acoustiques à large spectre de Richard Robert, programmateur de l’Opéra Underground).
À noter que si la version discographique compte 16 titres, la version numérique en dénombre 22, certains artistes comme Stéphane Pétrier ou Chevalrex doublant la mise (Pétrier avec la quasi-comptine Petite Luge de A Bird on a Poire), tous particulièrement soucieux de rendre grâce à la poésie singulière des textes du Bougnat.
Et de livrer des versions empreintes d’un certain minimalisme pour le coup très muratien qui constitue peut-être le plus bel hommage à son art. Voilà qui devrait réconcilier Murat avec, au moins, ce pan transi de la confrérie musicale. Et donne en tout cas envie de se pencher sur l’œuvre intégrale du barde de La Bourboule.
AuRA aime Murat ! (Stardust ACP)