DERNIERS JOURS – Figure de proue de l’Arte Povera et artiste majeur du XXe siècle, Giuseppe Penone fait de son œuvre un intercesseur entre l’homme et la nature. Sa rétrospective au musée de Grenoble est l’événement incontournable de cette année.
Connexions homme-nature
Ce sont des gestes, des analogies simples et pourtant elles soufflent d’évidence : si l’on prolonge en cercles concentriques le dessin formé par l’empreinte digitale, on obtient le plan de coupe d’un arbre, avec ses nervures se propageant en ondes (Propagation, 2013) ; la sève et le sang ont la même couleur et la même fonction vitale (Écrin, 2007) ; la texture des lèvres ou de la peau et les nervures d’un végétal ont des tracés similaires (16 Pagine, 2008). Et cætera. Ce sont ces connexions-là, celles qui unissent l’homme à la nature – encore une fois tellement évidentes –, que Giuseppe Penone met en lumière ou rappelle depuis des décennies.
Benjamin du courant de l’Arte Povera (“art pauvre” en italien), la pratique sculpturale de Penone s’est nourrie des paysages de son village natal, Garessio, dans le nord-ouest de l’Italie, riches en cours d’eau et minéraux. Élevé dans un milieu agricole, sa sensibilité fut aussi marquée par le rythme des saisons, les formes, les odeurs et les couleurs de la campagne.
C’est dans la forêt de Garessio qu’il réalise sa première œuvre in situ, en 1968, L’arbre se souviendra du contact. D’un fil de zinc, il cernait un tronc d’arbre selon les contours de son corps au moment de l’enlacement de celui-ci. L’œuvre, poétique et sensuelle, dessinait déjà les bases d’une réflexion sur la fusion et la confusion du corps et de la nature, la mémoire du contact, la présence fantomatique de l’homme, ou le rapport au temps.
Quand les lèvres se font paysage
Puisque nous sommes un tout, Giuseppe Penone mêle volontiers les règnes. Cherchant à retrouver l’animal dans le végétal, le végétal dans le minéral, il se joue des analogies formelles et des propriétés de la matière : du mur végétal monumental élevé au musée (Respirer l’ombre – Feuilles de thé, 2008) émerge un visage feuillu en bronze, qui semble vouloir rejoindre les sculptures anthropomorphiques et plantigrades qui peuplent la même salle ; des peaux de cuir sont clouées sur des troncs et en épousent totalement la forme (Souches de cuir, 2010) ou deviennent écorces brunes une fois sèches, au point de tromper l’œil à une certaine distance ; des marbres de Carrare se transforment en forêt blanche (Frontières indistinctes, 2012).
Dans une des plus belles salles de l’exposition, l’empreinte agrandie des lèvres devient paysage hostile (Épines d’acacia – Contact, 2005), aussi sensuel que dangereux, face au même motif de graphite sur toile noire (Peau de graphite – Reflet d’ombre, 2007), un vis-à-vis en négatif qui oppose la lumière du carbone à la violence des épines.
L’univers de Penone, poétique, sensuel et sensible, travaille le glissement, la confusion des matériaux. La main, la bouche et le corps y sont omniprésents, outils et motifs du contact, donnant à l’œuvre une dimension extrêmement physique et haptique.
Technique des surfaces
Pour Giuseppe Penone, il s’agit de trouver le moyen de représenter la nature par la matière elle-même. L’empreinte, le frottement, le prélèvement, le moulage ou le modelage sont alors les techniques récurrentes qui rendent visible le processus créateur, pour une approche physique de la réalité.
Pour dessiner l’arbre, il frotte des feuilles sur une toile préalablement posée sur l’écorce, laissant la chlorophylle imprimer les saillances et les béances de son relief (Vert du bois, 1986). Pour donner consistance au souffle, il imprime son propre corps dans une jarre de terre glaise, rejouant le mythe du premier homme (Souffle, 1978). Pour signifier le temps qui passe, il recouvre de cire noire, centimètre par centimètre, une branche, lui ajoutant, dit-il, une année de croissance supplémentaire (Les Années de l’arbre plus une, 1969).
Vient clore le parcours le geste sculptural sans doute le plus poétique de Penone, dont le résultat est néanmoins assez sec : celui qui a consisté à inverser le processus, à débiter la poutre pour retrouver l’arbre (Répéter la forêt, série commencée en 1969) ou le marbre pour retrouver les nervures (Sceau, 2012). Bref, à retrouver la nature dans la culture. Un geste délicat, à contretemps, contre-courant, qui semble trouver un écho particulièrement signifiant aujourd’hui.
Rétrospective Giuseppe Penone – Jusqu’au 22 février, au musée de Grenoble.
• Ce dimanche 15 février, à 11h : visite thématique “L’éloge de la nature dans l’art du XXIe siècle” – 5 euros, réservation au 04 76 63 44 44.
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