Le metteur en scène réunionnais Nicolas Givran est en tournée avec La Pluie pleure, un spectacle sensible et poétique destiné plus particulièrement aux plus jeunes et qui fait étape aux Célestins.
Écrit avec l’auteur lyonnais Philippe Gauthier, La Pluie pleure, est la quête initiatique de deux personnages qui se rencontrent au milieu de nulle part. Un passage à l’âge adulte où se construisent les identités, et où on se débat parfois contre la solitude en se nourrissant de l’imaginaire de l’enfance. Entretien.
Lyon Capitale : Vous avez imaginé ce spectacle à partir d’une anecdote personnelle ?
Nicolas Givran : L’ origine du spectacle est une jolie histoire. J’étais avec ma fille de 4 ans dans les rues de Saint-Denis de la Réunion où je vis, et nous tombons sur une manifestation organisée par La Manif pour tous. Elle me demande pourquoi les gens sont énervés comme ça, et moi, - comme peut le faire un parent pour expliquer le monde sans pour autant effrayer les enfants - j’essaye de lui expliquer. Et là, je vois qu’elle ne sent pas bien. Je lui demande pourquoi, et elle me répond gênée qu’elle est amoureuse de sa copine de classe…
Votre fille a donc inspiré l’un des personnages, celui de Victor, 8 ans, qui écrit à Christiane Taubira ?
Oui, il lui demande dans cette lettre de créer une nouvelle loi, après avoir autorisé le mariage "hommes-o-sexuel", une loi pour les "garçons-o-sexuel"…
C’est un spectacle qui interroge les identités sexuelles, mais aussi familiales et culturelles.
En effet, l’autre personnage, Ben, est un garçon réunionnais de 17 ans qui n’a pas connu son père et qui s’en invente un. Il imagine que celui-ci est devenu une star du football. Sa mère est décédée, mais elle lui parle grâce à une cabine téléphonique. On comprend alors qu’il s’agit d’une forme de schizophrénie.
"Peut-on demander à quelqu’un d’être autre chose que lui-même ?"
Vous dites que cette schizophrénie est une parabole de la culture réunionnaise.
À la Réunion, on a cette double culture. Une double langue, avec une grosse dichotomie entre les deux. Le français étant historiquement la langue du colon, de l’esclavagiste ou du pouvoir, et le créole qui est parlé par 80 % de la population. Cette langue, qui est utilisée à la maison, est dévalorisée à l’extérieur, dans les écoles, les administrations ou dans le monde du travail. Lorsqu’ils sont dans l’intimité, avec leur famille, leurs amis, leurs amours, ils s’expriment en créole. Alors que devant le médecin, le professeur, l’employeur, ils ont l’impression qu’ils ne peuvent pas être ce qu’ils sont vraiment. Il y a une forme de dissonance qui crée de la souffrance. D’ailleurs dans ce spectacle, Ben parle en français et sa mère lui exhorte en créole de lui répondre dans cette même langue.
Assumer sa nature, c’est donc le message de votre spectacle, adressé plus particulièrement aux plus jeunes* ?
Peut-on demander à quelqu’un d’être autre chose que lui-même ? Les jeunes doivent pouvoir exprimer leurs différences sans avoir peur des réactions de rejet. Il y a des douleurs terribles à l’adolescence, voire des passages à l’acte, particulièrement dans des situations où l’homosexualité n’est pas acceptée par l’entourage. Cela me ramène à l’anecdote avec ma fille. L’enfance est un endroit vulnérable qu’il faut absolument protéger.
"Parfois dans ce milieu, on te fait comprendre qu’il ne faut pas trop mettre en avant cette culture populaire"
Un père fantasmé, une mère disparue… L’absence est un thème qui est souvent abordé dans vos spectacles.
Même si ce n’est pas toujours conscient, le lien entre tous mes projets c’est qu’ils mettent en scène des personnages qui sont dans un besoin de consolation mais qui doivent faire sans. Ce réconfort est pourtant nécessaire.
Ces personnages vulnérables sont un peu à l’image de cette France populaire, péri-urbaine, invisible, qui constitue la toile de fond de votre spectacle. L’ histoire se déroule d’ailleurs devant une discothèque de campagne qui s’appelle "Hors jeu".
Tout cela est assez lié à mon histoire personnelle. Je viens d’un milieu social où on n’allait pas au théâtre. Je suis rentré un peu par effraction dans le monde de la culture.
Lorsque j’ai commencé à chercher du travail, j’ai répondu à deux annonces, les seules où un diplôme n’était pas exigé. L’une proposait des formations en théâtre et l’autre un job au premier MacDo de la Réunion. J’ai eu la chance d’être accepté par la compagnie après avoir fait des essais. J’ai néanmoins mis beaucoup de temps à me sentir légitime à être comédien, puis metteur en scène.
On retrouve l’univers des super-héros, du football et des westerns dans votre mise en scène. Vous dites qu’il n’est pas toujours facile de mettre en avant cette culture populaire.
On m’a souvent demandé d’aller chercher d’autres références dans mes spectacles. Parfois dans ce milieu, on te fait comprendre qu’il ne faut pas trop mettre en avant cette culture populaire. Wajdi Mouawad, qui est pourtant un metteur en scène reconnu, a dit qu’il avait ressenti la même chose. Ma plus grande émotion lorsque j’étais adolescent c’est Thriller de Mickael Jackson chez Drucker à la télé. J’aime la musique pointue, le hip hop mais aussi, parfois, écouter Mariah Carey.
"Spiderman est une métaphore de l’adolescence"
On en revient à l’idée de ne pas renoncer à ce qu’on est…
Je viens d’où je viens, je ne peux pas m’inventer d’autres histoires. Et je suis sûr que ce sont des souvenirs et des références qu’on a tous, mais qu’on n’assume pas.
Le personnage de Spiderman par exemple, dont j’utilise le costume dans mon spectacle, tout le monde connaît. Peter Parker se fait piquer par une araignée et son corps change. C’est une métaphore de l’adolescence, celle d’un garçon fragile qui se cache sous son masque.
Et travailler sur le masque – qui est un accessoire fondamental du théâtre depuis toujours – avec des super-héros, j’aime ça et ça parle à tout le monde !
La pluie pleure, de Nicolas Givran et Philippe Gauthier – Du 15 au 19 février aux Célestins.
* Spectacle à partir de 10 ans