© Jean-Louis Fernandez

Notre critique : Lacrima, un spectacle bouleversant aux Célestins

Caroline Guiela Nguyen nous offre avec Lacrima une œuvre théâtrale ambitieuse, portée par de grands moyens et dotée d’une intensité émotionnelle rare. La pièce a été acclamée par le public du théâtre des Célestins lors de la première, ce jeudi 13 février. Voici notre critique.

On le savait déjà avec ses précédents spectacles, Fraternité et Saigon : Caroline Guiela Nguyen sait manier les ressorts émotionnels grâce à une sensibilité et une écriture qui ne se cachent pas derrière les filtres de la pudeur, réussissant sans complexe à tirer des larmes chez le spectateur.

D’ailleurs, avec le titre de sa dernière création, Lacrima, c’est un peu comme si elle l’assumait ouvertement. Comme souvent, elle flirte avec le pathos, prenant le risque de desservir son propos, une exploration subtile des rapports sociaux et humains. Mais disons-le d’emblée, son pari est réussi. La metteuse en scène nous livre ici un spectacle d'une rare beauté.

Au cœur de cette pièce se trouve justement une robe magnifique, autour de laquelle gravitent les destins des protagonistes. Cet ouvrage d’art, témoin silencieux des drames humains, devient le fil conducteur d'une narration riche, complexe et documentée.

© Jean-Louis Fernandez

On suit ainsi la création d’une robe destinée au mariage de la princesse d’Angleterre, commandée à une maison de haute couture parisienne. Cette dernière s’associe avec les dernières dentellières d’Alençon et un atelier de broderie en Inde. Autant de petites mains qui sont soumises au secret de fabrication et à des conditions de travail dignes d’un autre siècle.

Séquences documentaires passionnantes

Ces servitudes, chacun les accepte avec résilience, voire fierté, porté par l’idée de contribuer à une œuvre d’art exceptionnelle. Ce savoir-faire artisanal fait l’objet de séquences documentaires radiophoniques passionnantes, insérées dans le récit. Elles permettent de découvrir les sacrifices de chacun – des milliers d’heures de travail – face à un cahier des charges dont les injonctions contradictoires matérialisent les folies de notre société capitaliste. Le récit est captivant et Caroline Guiela Nguyen sait ménager le suspense quant à l’issue de ce travail pharaonique.

Mais en insérant, avec subtilité, des histoires plus humaines, Caroline Guiela Nguyen ouvre les portes de l’intime. Grâce à des personnages dont on découvre les failles et les secrets, restitués avec justesse par des comédiens dirigés avec une grande précision.

Le dispositif scénique – quasi cinématographique – offre des gros plans vidéo sur leurs visages et leurs larmes, révélant les drames invisibles qui se jouent dans toutes ces vies consacrées au travail. Violence conjugale, maladie, secrets de famille : ces incursions très personnelles qui sondent les méandres de l’âme humaine viennent se nouer autour du parcours de cette robe, objet inanimé qui devient le révélateur de la condition humaine.

Lacrima est une œuvre magistrale. Avec maîtrise, Caroline Guiela Nguyen nous offre un spectacle à tiroirs, entre critique sociale, récits intimes et processus de création artistique douloureux, lequel fait écho au propre travail de la metteuse en scène dans la mise en œuvre de cette pièce aux allures de défi. Résultat, une expérience théâtrale bouleversante à ne rater sous aucun prétexte.

Lacrima, jusqu’au 21 février au théâtre des Célestins.

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