Notre sélection livres

Les livres conseillés par la rédaction de Lyon Capitale


Judith Wiart

Pas d’équerre, mais juste !

Poèmes, chroniques, nouvelles… Les livres de Judith Wiart se refusent à toute définition. S’il fallait absolument ranger les textes de l’écrivaine dans une case, ce serait celle des inclassables.

S’il fallait lui coller une étiquette, ce serait celle de ceux qui n’en ont pas (d’étiquette). Le Jour où la dernière clodette est morte (paru en 2020), Les Gens ne se rendent pas compte (2022), ses deux précédents recueils, avaient enchanté ses – trop rares – lecteurs par sa petite musique douce-amère. Pas d’équerre, récemment paru aux éditions Louise Bottu, s’inscrit dans leur sillage. Mais en se concentrant plus spécifiquement sur le métier qu’exerce Judith Wiart, prof.

Mais une prof pas comme les autres. Elle exerce en “lycée pro”, auprès des élèves “dont on ne sait pas quoi faire, et parmi lesquels les migrants sont les plus motivés”. Des membres de cette génération Z qui suscitent l’enthousiasme des chroniqueurs de France Culture par leur conscience écologique exacerbée.

Sauf que “ses” lycéens à elle sont d’abord anxieux pour leur quotidien immédiat, tant il est difficile, avant de pouvoir se permettre le luxe de se soucier du sort de la planète. N’empêche, ils ont une chance incroyable, celle d’avoir Judith Wiart comme prof de français et d’histoire (des matières qui se réduisent à peau de chagrin dans les programmes). Elle est la prof que tous les ados rêvent d’avoir.

Ce qu’elle tente d’abord de leur apprendre c’est “la quête de l’élégance, de la sprezzatura, du raffinement et de la courtoisie, par la recherche du mot juste, de la tournure syntaxique racée et de la pensée subtile”. Et pour certains, pas tous bien sûr, ça marche ! En témoignent les quelques textes, signés par ses élèves, qu’elle reproduit dans son recueil. Subtils, poétiques et drôles, comme l’écriture de leur prof.

C. M.

Pas d’équerre – Judith Wiart, éditions Louise Bottu, 136 p., 14 €.


Le Goncourt 2023, un grand cru !

Si on vous a offert le prix Goncourt pour Noël, ne reprochez pas à ceux qui vous ont fait ce cadeau leur manque d’originalité… Et si vous ne l’avez pas acheté en 2023, procurez-vous le dernier prix Goncourt en 2024. C’est un grand cru !

Après une incursion dans l’autobiographie, avec le roman de la Lyonnaise Brigitte Giraud, Vivre vite, le prix Goncourt a couronné cette année un pur et magnifique roman. L’un de ces livres qu’il est presque impossible de lâcher une fois commencés. Attention aux insomnies !

C’est une formidable saga qui tourne autour de l’histoire d’amour, et d’amitié passionnée, entre un homme et une femme nés en Italie, au début du siècle dernier, en 1904. Tout les oppose : Mimo est un nain aux traits harmonieux, né dans un total dénuement mais qui deviendra un sculpteur d’exception. Viola est une riche héritière, d’une rare beauté, aux pouvoirs très étendus, mais pas illimités.

Le sentiment contrasté, mais toujours irrésistible, qui les unit les aide à traverser des décennies mouvementées dans leur Italie natale. Après les blessures mal refermées de la Première Guerre mondiale, c’est la montée du fascisme qu’ils devront affronter.

Avec un art consommé de l’intrigue, une solide construction, Jean-Baptiste Andrea nous colle aux basques de cet improbable couple, en multipliant les péripéties et en mélangeant la petite et la grande Histoire.

C. M.

Veiller sur elle – Jean-Baptiste Andrea, éditions l’Iconoclaste, 580 p., 22,50 €.


Magic bio

Oubliez le côté livre de sport. S’il n’a jamais écrit de biographie de Churchill ou de John Wayne, Roland Lazenby est l’un des plus grands biographes américains. Lui a simplement choisi de consacrer son talent à quelques-uns des grands mythes sportifs US (ne pas oublier qu’aux États-Unis, mythes et Histoire ne font qu’un) : Johnny Unitas, Tom Brady (deux immenses quarterbacks de foot US), Michael Jordan et Kobe Bryant (qu’on ne présente pas).

Sa bio de Jordan, The Life, traduite en français il y a quelques années, est un must du genre, un bouquin incroyable et une mine d’informations. Celle consacrée à sa nouvelle cible, Magic Johnson, est du même tonneau et depuis peu disponible en français. En près de 900 pages, Lazenby déroule à coups de dizaines de témoignages, souvent inédits, la vie d’Earvin Johnson, fils d’ouvrier automobile de Lansing, Michigan, devenu l’idole du Showtime des Lakers de Los Angeles dans un Forum d’Inglewood toujours farci de stars. Stars que Magic, surnom donné par un journaliste au lycée, côtoie également la nuit dans toutes les soirées hollywoodiennes où il multiplie les conquêtes.

Mais la vie de Magic, ce n’est pas que cela, c’est aussi une série de contrepieds du destin : en 1991, il est diagnostiqué séropositif et, d’une certaine manière, condamné à moyen terme. Sa carrière est finie mais il régale la Dream Team, l’invincible armada US aux JO de Barcelone à l’été 92.

Trente-deux ans plus tard, il est plus en forme que jamais et ses nombreux succès dans différents business ont fait de lui un milliardaire. Une histoire telle que seul Hollywood peut l’imaginer et que seul un mineur de fond des vies hors norme comme Roland Lazenby peut la raconter.

K. M.

La Vie de Earvin “Magic” Johnson – Roland Lazenby, Talent Sport, 848 p., 28,90 €.


Monstre marin

Mettons que vous ayez pris une résolution cette année : celle de lire au moins un livre en 2024. Avec l’ouvrage en question ici, vous pourrez effectivement n’en lire qu’un et rien d’autre. Peut-être même n’en serez-vous pas venu à bout en 2025. Pas très encourageant, certes. Mais si ce livre est un monstre littéraire, c’est aussi un monument. Doublé d’un mythe.

Longtemps considéré comme intraduisible (comme tous les livres immenses), c’est un peu la baleine blanche de la littérature mondiale, une sorte d’équivalent italien à la fois de Moby-Dick, d’Ulysse et de L’Odyssée (tout en n’étant rien de tout cela) qui a véhiculé beaucoup de fantasmes, très peu l’ayant lu, hormis quelques italophones (il fut tout de même vendu à 80 000 exemplaires et encensé par Pasolini, Primo Levi et Roberto Saviano).

Le livre signé Stefano d’Arrigo, publié en 1975, raconte l’histoire de ‘Ndrja Cambría, marin de la Regia Marina, de retour dans son village de Sicile pour embrasser son père au prix d’une épopée intérieure et maritime hors du commun (il sera attaqué par une orque mythique) qui témoigne des destructions de la guerre – en réalité le roman n’est pas résumable. Il a fallu pas moins de deux traducteurs, la très expérimentée Monique Baccelli et son “disciple” Antonio Werli, et pas moins de dix ans de travail quotidien, pour venir à bout de ce texte intégral (il avait connu quelques publications partielles) qui prétendait réinventer la langue italienne en partant de l’ancienne langue sicilienne.

Un livre vertigineux de 1 376 pages, merveilleusement édité par Le Nouvel Attila, dont il est difficile de dire autre chose qu’il est indispensable de s’y plonger. À ses risques et périls.

K. M.

Horcynus Orca – Stefano d’Arrigo, traduit par Monique Baccelli et Antonio Werli, Le Nouvel Attila, 1 376 p., 39,90 €.

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