CRITIQUE – On achève bien les anges, le nouveau spectacle de Bartabas, impose un cortège d’images d’une implacable beauté. Magnifiquement portées par la musique (Tom Waits, Prokofiev, Messiaen, Bach) malgré leur caractère lugubre...
Faut-il, pour la dernière création du théâtre équestre Zingaro une “explication de spectacle” comme certains textes méritent une explication de texte ? Peut-être que non, la beauté plastique des images vivantes qui peuplent la scène et la musique envoûtante portée par la voix de Tom Waits se suffisant à elles-mêmes. Mais peut-être que si, parce que l’inspiration de ce spectacle, écrit dans la colère et la peine des massacres de Charlie, où Bartabas a perdu son fidèle ami Cabu, transpire dans chaque tableau.
La mort était déjà venue stimuler la créativité du metteur en scène dans Calacas, présenté aux Nuits de Fourvière en 2012. Mais il s’agissait alors d’une évocation plus joyeuse, irrespectueuse et drôle. Si l’on retrouve des squelettes à cheval, l’envie de danser avec la camarde et un humour grinçant dans ces “élégies” (sous-titre du spectacle), la tonalité en est beaucoup plus sombre, funèbre, lugubre même.
Faire parler la colère
Il y a bien une tentative, dans certaines des visions qui surgissent au cœur du chapiteau, de faire parler la colère, la révolte devant la barbarie islamiste. En témoignent ces anges exterminateurs en burqa bleue, montés sur des échasses, qui traquent un ange minuscule...
Serait-ce une dénonciation du caractère absurde des massacres ? Ou bien la volonté de continuer de rire comme lorsque apparaissent deux cavaliers blancs, l’un superbe sur un majestueux cheval blanc et l’autre un peu ridicule, tout petit sur un poney également immaculé. Tandis que la carriole d’un “boucher-confiseur” propose ses saucisses “halal, casher ou bio”...
Au son rauque de la voix de Tom Waits
On distingue un espoir, malgré tout, de vie meilleure au moment où les anges quittent une piste enneigée pour s’élever dans les airs, comme par magie. Reste que ce qui frappe, c’est cette réflexion amère qu’impose Bartabas sur lui-même comme sur la société qu’il voit dériver.
Il s’investit plus qu’à son accoutumée dans cette pièce, en homme cabossé, titubant ivre et seul sur scène, tandis que son cheval peine à le suivre, finit par se coucher au milieu de la piste, où il lui propose sa fiasque de whisky. Lugubre. Mais d’autant plus saisissant que la grande réussite du spectacle est son univers musical, ou plus exactement la façon dont celui-ci est magnifié.
La raucité de la voix de Tom Waits, ses ballades somptueuses et désolées ainsi que les extraits de Prokofiev, Messiaen ou Bach prennent une dimension saisissante.
Jamais Bartabas n’aura aussi bien fait danser ses chevaux.