Le plus poétique de nos comédiens, aussi étourdi soit-il, n’oubliera pas le rendez-vous pris avec les spectateurs lyonnais. Aux Célestins, seul sur scène, il interprète à partir de ce soir le Petit éloge de la nuit d’Ingrid Astier.
Si sa tignasse a blanchi, elle est presque aussi fournie et embroussaillée qu’à ses débuts. Et cela n’empêche en rien Pierre Richard de rester dans la tête, et le cœur, des Français Le Grand Blond avec une chaussure noire. Tourné en 1972 par Yves Robert, c’est le film qui a forgé son personnage d’hurluberlu perché, éternel gaffeur, d’une incroyable virtuosité dans la maladresse. D’ailleurs, Pierre Richard se définit lui-même comme un “acteur burlesque”. Deux mots qui le caractérisent sans le définir tout à fait. Il est également lunaire, jamais vulgaire et, surtout, trimballe avec lui tout un univers poétique qui doit aussi bien à Robert Lamoureux qu’à Buster Keaton. Mais il est incontestable que sa vis comica occupe une large place dans sa carrière.
Le timide dont tout le monde se souvient
Au cabaret, lors de ses premiers pas sur les planches, dans les années 1960, c’est en compagnie de Victor Lanoux qu’il crée l’image d’un hurluberlu à la fois timide et distrait. Un personnage qui l’accompagnera certainement le restant de ses jours. Il se produit aussi en première partie du spectacle de Georges Brassens, y jouant ses premiers sketchs (Les Gifles, Les Briques, La Chaîne). Mais c’est bien au cinéma que s’est forgée son immense popularité. Pierre Richard est sans doute une des rares personnes connues dont on puisse jeter le nom en pâture sur les réseaux sociaux – on a fait l’expérience – sans qu’aucun message haineux apparaisse ! Au contraire, chacun garde du comédien un souvenir attendri. Ce sont des scènes entières que l’on prend plaisir à se remémorer, comme celle du Jouet (tourné en 1976 par Francis Veber), où Pierre Richard joue au cow-boy avec un enfant parmi les invités d’une garden party. Et l’on pourrait aussi citer de nombreuses autres comédies dans son interminable filmographie : La moutarde me monte au nez (Claude Zidi), Je suis timide mais je me soigne (de Pierre Richard lui-même, il est aussi réalisateur), La Carapate (Gérard Oury), Le Jumeau (Yves Robert). Sans oublier évidemment sa collaboration fructueuse avec Francis Veber dans les années 1980. Le réalisateur l’oppose à Gérard Depardieu, aussi solide qu’il est fragile, dans La Chèvre. Duo inoubliable qui se reforme à deux reprises sous la direction du même cinéaste, pour Les Compères (1983) et Les Fugitifs (1986).
Au cœur de la nuit, “moi je te suis”
À 83 ans, sa carrière est loin d’être achevée. On en aura la preuve cette semaine aux Célestins, où il joue Petit éloge de la nuit, d’Ingrid Astier, sorte de dictionnaire amoureux de différentes fantaisies nocturnes. Une œuvre à la fois personnelle et construite à partir de grands écrivains (Poe, Baudelaire, Doyle, Cyrano, Dostoïevski, Desnos) qui ont su exprimer leurs visions nocturnes. C’est Gérald Garutti, metteur en scène réputé aussi bien en France que de l’autre côté de la Manche, qui met en scène ce texte que le grand blond a tenu à interpréter. Il évoque ainsi leur première rencontre : “Fin juin 2015, lors de notre première rencontre à trois [avec l’auteure, Ingrid Astier, NdlR], dont je m’étais fait par avance une joie tant j’aime cet acteur attachant, je le vis d’abord rester étonnamment silencieux, me regardant d’une étrange manière. Comme je m’inquiétais de son état d’esprit, il finit par m’avouer qu’il était “très impressionné de se voir proposer un rôle par un metteur en scène shakespearien créant des grands textes à Londres à la Royal Shakespeare Company et en France au sein du théâtre public”. Je crus à un trait d’humour, mais non. S’exprimaient ici sa modestie, son souci de l’autre et ce complexe singulier selon lequel un acteur burlesque de cinéma vaudrait moins qu’un comédien de théâtre classique. Je me pris à rire et le priai de ne pas inverser les rôles – c’était moi qui étais impressionné, par son génie comique. Je lui enjoignis de cesser ce détournement d’admiration. Il se mit à rire aussi. De ce rire partagé naquit ce que Pierre nomme depuis “notre triangle isocèle”, aux trois pointes reliées par une égale estime et confiance. Si je demande à Pierre, à propos d’une idée, “Qu’en penses-tu ?”, il me répond invariablement, avec ses grands yeux bleus d’enfant : “Moi, je te suis.””