Retiré des affaires depuis une décennie pour de sérieuses raisons de santé, Phil Collins, l’ex-leader de Genesis, symbole de l’âge d’or de la pop FM, refuse de se laisser mourir. À l’image de son Not Dead Yet Tour qui passe par Lyon ce mardi. Peut-être la dernière occasion de le voir en concert. Encore que…
“Vous aimez Phil Collins ? Je suis un fan de Genesis depuis leur album de 1980, Duke. Avant cet album, je ne comprenais rien à leur œuvre. Trop artiste, trop intellectuelle. C’est dans Duke que la présence de Phil Collins s’est révélée. Je pense qu’Invisible Touch est indiscutablement leur chef-d’œuvre. C’est une méditation épique sur l’intangibilité qui approfondit et enrichit le sens des trois précédents albums. (…) Écoutez la brillante performance de Banks, Collins et Rutherford. (…) Si on tient compte de la richesse musicale et des paroles, cet album est un sommet de professionnalisme. (…) Prenez les paroles de Land of confusion. Dans cette chanson, Phil Collins dénonce l’autoritarisme politique. In too deep est la plus émouvante chanson pop des années 1980 sur la monogamie et l’engagement. (…) La carrière solo de Phil Collins semble être plus commerciale et, de ce fait, plus satisfaisante, dans un sens plus étriquée, surtout avec des chansons comme In the air tonight et Against all odds (…) Je pense aussi que Phil Collins travaille mieux encadré par le groupe que lorsqu’il est en artiste solo. Je dis bien “artiste”.” Voilà sans doute le plus bel hommage jamais rendu à Phil Collins, celui sans doute qui est entré et a contribué à faire entrer l’ex-chanteur et batteur de Genesis dans la postérité. L’ironie étant que cet hommage est signé par un tueur en série, l’iconique Patrick Bateman, droit sorti de l’imagination de l’écrivain Bret Easton Ellis pour son sulfureux American Psycho et incarné au cinéma par le caméléon Christian Bale.
Retraite forcée
C’est en récitant ses dithyrambes sur le musicien anglais, au son de sa musique (ou de celle de Whitney Houston) si raccord avec le son FM, que Bateman découpe des prostituées à son domicile. Belle allégorie du caractère a priori mortifère qu’Ellis attribue à cette musique porteuse de l’esprit des années 1980 où le faux, le paraître et le clinquant régnaient en maîtres. À chacun de partager ou non cette opinion, toujours est-il que dans le roman d’Ellis comme dans le film de Mary Harron le récit que fait Bateman de son amour pour le chanteur semble, comme chez Shéhérazade, repousser le supplice de la torture et/ou l’instant fatal pour la victime. Ce qui ferait de la musique de Phil Collins exactement l’inverse de ce dont ce petit malin d’Ellis semble vouloir nous persuader. C’est peut-être inconsciemment le message à l’œuvre dans l’idée et le titre que Collins a souhaité donner à sa tournée actuelle : Not dead yet (“pas encore mort”, ou “toujours vivant” si l’on préfère). Où, sous la forme d’une dernière danse, l’Anglais joue tous ses grands titres, comme pour repousser l’échéance d’une retraite forcée.
Genesis reformé ?
C’est que le chanteur est atteint depuis plusieurs années de graves problèmes vertébraux – dus à ses années passées derrière une batterie – ayant dégénéré en une série de désordres neurologiques qui lui interdisent la pratique de son instrument fétiche (il a notamment perdu une grande partie de la sensibilité de ses mains) et de chanter debout (malgré les opérations, son dos est trop abîmé). Depuis la fin des années 2000 et une première retraite – qu’il a également justifiée par la volonté de s’occuper de ses enfants –, Collins, 68 ans, ne cesse de multiplier (ou d’annoncer) les come-back. Et, malgré l’annulation de quelques concerts ici et là (suite à une chute dans sa chambre d’hôtel en 2017), il a tenu promesse et refuse de s’avouer vaincu. Cette tournée, qui porte le nom de son autobiographie, parue fin 2016, va dans ce sens. Surtout, elle aurait, pour le chanteur, valeur de test pour envisager une éventuelle reformation de Genesis (officiellement séparé en 1996) dont la dernière tournée commune date de 2007. Une nouvelle qui ravirait sans doute ce cher Patrick Bateman. Mais une perspective incertaine propice, comme le dirait le trader-tueur, à une méditation sur l’intangibilité.