Philippe Cognée sous le feu des couleurs

Le musée de Grenoble frappe fort avec la rétrospective Philippe Cognée, la plus grande jamais consacrée à cet artiste né en 1957.

Une certaine vision post-apocalyptique saisit le visiteur à mesure que défile la centaine de tableaux de Philippe Cognée réunis au musée de Grenoble. Pour un peu, on sentirait encore l’odeur de chaud qui a fait imploser les motifs picturaux et qui “fondent” les grands thèmes de l’œuvre de l’artiste : portraits, autoportraits, paysages, natures mortes et vanités. Et pour cause, la technique caractéristique de son travail est tout à fait singulière : après avoir appliqué une couche de peinture mêlant pigments et cire d’abeille, Cognée pose la toile au sol, dépose une feuille de Rhodoïd à certains endroits, puis fait fondre la matière et fusionner les couleurs par l’action de la chaleur d’un fer à repasser (voir absolument les vidéos du rez-de-chaussée qui le montrent à l’ouvrage). L’utilisation de l’encaustique (détrempage des couleurs dans la cire fondue) intéresse Philippe Cognée pour sa qualité thermosensible mais aussi la possibilité de rendre poreuse la ligne qui sépare la figuration de l’abstraction, le réel de l’illusion.

Destruction créatrice

De ses débuts, prenant pour sujets des objets ordinaires qui peuplaient son atelier (une chaise, un congélateur, une baignoire), aux portraits et autoportraits, ou à ses fameuses carcasses d’animaux d’abattoir (une pièce entière leur est dédiée), les œuvres de Cognée ont toujours eu un lien avec l’abstraction, tant il cherche à gommer les signes sous le feu du fer. Si autodafé il y a, il n’est en aucun cas destructeur, bien au contraire. L’action douce et violente à la fois qui rend la matière aussi vulnérable génère de nouvelles formes, expressionnistes, sortes de souvenirs embués, comme ces scènes de repas familial avec leurs nappes et assiettes vides, ou ces architectures urbaines presque indifférenciées entre les pays, qui exsudent de la mémoire.

Cette technique de fusion et de fonte, Philippe Cognée la rend volontairement visible. Les bords des feuilles plastiques posées à même la peinture et pressées sur la toile quadrillent discrètement les œuvres et forment des lignes en relief. De même qu’une fois retirées elles emportent avec elles des morceaux de peinture, laissant apparaître des creux ou, par endroits, la toile nue. Certaines œuvres (notamment les paysages campagnards) montrent à quel point le passage du fer a aplati la matière et homogénéisé les nuances. D’autres au contraire révèlent des détails bouleversants de rencontres entre deux zones, comme ces nervures qui se sont dessinées par capillarité entre deux couleurs (Philippe Cognée utilise également le sèche-cheveux). C’est cette impression de quitte ou double qui rend l’œuvre de Cognée remarquable.

Altérer l’image pour révéler la matière

La prise de risque que comporte la technique (que l’on peut qualifier de fatale, terme qui trouve un écho dans la récurrence des têtes de mort, des quartiers de boucherie ou des natures mortes), la possibilité de ruiner l’œuvre, et la part de réaction incertaine de la matière, est absolument fascinante. L’imprécision qui en résulte apporte toute la vibration et le mouvement à ces images, qui deviennent un véritable bouillon de peinture. En débordant les contours et en les rendant flous, l’artiste nous rend finalement tous myopes. De loin, on discerne avec peine ces instantanés qui, bien que faisant illusion, échappent toujours. La distance que prend Cognée par rapport au réel relève d’une volonté d’altérer l’image pour révéler la matière, ne revenir qu’à elle, un parti pris qui fait de ses œuvres des objets toujours surprenants, même déclinés en série (sauf les dernières œuvres, inspirées des vues aériennes de Google Earth, qui déçoivent en péchant presque par un excès de détails et de netteté).

Cette rétrospective, qui remonte au moment charnière de la carrière de Philippe Cognée, celui où il radicalise sa pratique en se tournant vers l’autodafé maîtrisé, est à ne rater sous aucun prétexte.

Philippe Cognée. Jusqu’au 3 février, au musée de Grenoble. L’artiste est aussi régulièrement exposé à la galerie Domi Nostrae (Lyon 3e).

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D’autres expos, l’agenda des galeries... à retrouver dans le cahier Culture de Lyon Capitale n°718, en vente en kiosques jusqu’au 24 janvier, et dans notre boutique en ligne.

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