Pour Houellebecq, contre la théorie du complot

Michel Houellebecq fait partie des rares auteurs français contemporains dont je lis (et parfois relis) les livres. Je suis heureux d’apprendre qu’il ait obtenu le Prix Goncourt. Non pas que j’accorde aux prix littéraires beaucoup d’importance, mais enfin, quand ils consacrent un auteur que j’apprécie, je ne vais pas non plus bouder mon plaisir juste pour jouer les anticonformistes. Cette journée avait donc assez bien débuté. Jusqu’à ce que je tombe sur l’article d’un certain Pierre Assouline, intitulé "Goncourt : Houellebecq, comme prévu." J’entame donc la lecture de ce papier, un peu machinalement, histoire d’y glaner deux ou trois informations factuelles. Très vite, je ressens un vrai malaise, tant il m’apparaît évident que ce Monsieur Assouline est surtout en train de régler quelques petits comptes relevant plus de la psychanalyse que de la littérature.

Je ne me livrerai pas ici à une critique raisonnée, ni déraisonnable, de l’œuvre de Houellebecq, que personnellement je trouve riche, profonde, subtile, complexe, extrêmement originale jusque dans son pessimisme (lequel n’est souvent que prétexte) et son apparente banalité. Mais passons. Le propos ici est bien l’article de Pierre Assouline (monsieur dont, je le concède, j’ignorais jusqu’à aujourd’hui l’existence même). Que nous dit-il ? Petite explication de texte. Son article commence ainsi : "En vieil habitué des comices agricoles, Jacques Chirac aurait certainement commenté en pareille circonstance : ”C’est son tour de bête”." Manière de dire que Houellebecq est un péquenaud qui écrit pour des péquenauds, qui confondraient cul des vaches et écriture de cochon. Son œuvre ? Quelle œuvre ? Vous avez vu une œuvre, vous ?

Un peu plus loin, Assouline s’enhardit : "Le brouhaha fut tel qu’on l’entendit à peine murmurer qu’il était très heureux et que, tout sauf ingrat, il remerciait en priorité le grand absent de la journée, François Nourissier, qui ne vote plus pour des raisons de santé, mais qui fut son premier, son plus ancien et son plus ardent défenseur au sein du jury." Façon de signifier cette fois que l’Académie Goncourt est un mouroir peuplé de gens séniles (mais heureusement, Houellebecq a la reconnaissance du ventre et n’oublie pas qui l’a fait roi). Peut-être a-t-il roté au dessert ? Hélas, Pierre Assouline n’en dit rien.

Le meilleur arrive : "Michel Houellebecq n’était pas le favori mais le prétendant, devenu la figure imposée par la rumeur." Cette fois, c’est sûr : Houellebecq n’a définitivement pas une once de talent, et s’il remporte le prix, c’est forcément un complot !

Continuons, car ça devient vraiment intéressant : "Tout était écrit depuis le début de l’été, à commencer par le roman “La carte et le territoire” que l’on eut dit formaté exprès afin de complaire aux jurés : lisse, consensuel, propre sur lui, dénué de la moindre provocation, sage, tendance bien dans l’air du temps, nullement dérangeant, gentiment tourné dans l’autodérision avec un humour assez décalé pour que les lecteurs y voient l’expression du tragique et juste assez original dans sa manière de bousculer les codes narratifs dominants pour faire croire aux gogos qu’il était subversif." Ah, on vous l’avait bien dit que tout était réglé d’avance. Et puis il suffisait d’y penser : le Goncourt c’est aussi simple que le quatre-quarts, il faut juste bien suivre la recette. Quant aux lecteurs, ils sont tous "tragiquement" cons. Sauf monsieur Assouline bien entendu, qui lui –c’est bien le seul- ne se laisse pas facilement abuser. Ah ça non.

Mais poursuivons : "Sans oublier les médias bien entendu, critiques et journalistes mêlés dans un exercice d’admiration de type nord-coréen". Après les péquenauds et les grabataires, voilà qu’Assouline nous sert le coup des communistes totalitaires décérébrés. Plus loin : "On a rarement vu un auteur et des jurés se correspondre, s’emboîter et s’épouser aussi parfaitement que pour cette cuvée 2010. Ils avaient besoin l’un de l’autre. Lui pour passer de 200 000 exemplaires (chiffre Edistat des ventes de son roman à ce jour) au double d’ici à la fin de l’année et entrer dans un dérisoire panthéon des Lettres. Eux pour que la presse, et notamment la presse étrangère (Houellebecq est le romancier français vivant le plus connu, le plus discuté, le plus guetté et le plus vendu dans le monde), ne les accable de sarcasmes et ne leur réserve des noms d’oiseaux s’ils passaient à nouveau à côté de celui que certains critiques qualifient sans rire de “génie”." C’était donc ça à la fin ! L’argent ! Le fric ! Le grisbi ! Le pognon ! La thune ! Le cash ! Les dollars ! Si en plus les académiciens peuvent au passage éviter les insultes en espagnol et en grec… Allez, d’une pierre deux coups !

Pour conclure : "Rideau sur le Goncourt 2010. Maintenant que c’est fait, Houellebecq va pouvoir enfin se lâcher et redevenir lui-même. Le 28 ème prix littéraire 30 millions d’amis sera décerné dans le même salon du restaurant Drouant le 28 novembre. Contre toute attente, son roman ne figure pas dans la sélection." Quel dommage, Monsieur Assouline ! Nous aurions eu droit à un nouvel article sur Houellebecq, auteur pour cochons d’Inde et caniches diabétiques nains.

Par curiosité, j’ai tapé "Pierre Assouline" sur Google et ce que j’y ai lu ne m’a guère surpris. Ainsi, dans une notice Wikipedia particulièrement bien fournie et mise à jour (sans doute une initiative de ses lecteurs), on découvre qu’Assouline, c’est le type besogneux qui prend la pose, voudrait bien être écrivain, mais qui n’y arrive décidément pas en dépit de ses efforts incessants. Il publie pourtant une blogorrhée salement impressionnante, ainsi que pas mal d’ouvrages. Mais qui ne constituent pas le moindre début d’œuvre, fût-elle de second rang.

Monsieur Assouline écrit sur tout et sur tous, c’est un peu le Pic de la Mirandole version scribouillard et pseudo trash de la blogosphère : les gens riches et célèbres (Dassault, Rothschild…), les photographes (Cartier-Bresson…), les auteurs de BD (Hergé…), les éditeurs (Gallimard…) et même les prix littéraires ! La richesse, la gloire et la renommée semblent totalement l’obséder. D’ailleurs, la notice Wikipedia est formelle : "Le 10 octobre 2007, Pierre Assouline obtient le Prix de la langue française qui récompense l'œuvre d'une personnalité du monde littéraire, artistique ou scientifique qui a contribué, de façon importante, par le style de ses ouvrages ou son action, à illustrer la qualité et la beauté de la langue française". C’est un bon début non ?

En tout cas, ce Monsieur Assouline ne m’a vraiment pas donné envie d’acheter ses livres. C’est peut-être parce que je suis trop "lisse, consensuel et propre sur moi." Ou parce que tant de haine et de mauvaise foi, concentrées en si peu de talent, finalement : ça fiche vraiment la trouille.

Didier Maïsto
Directeur de la Publication

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