Radio Elvis, vu cet été à Fourvière avec son cousin esthétique Feu! Chatterton, symbolise à merveille le nouveau visage d’un jeune rock français non seulement peu enclin à tenir sa langue maternelle en laisse mais toujours soucieux de la placer au bon endroit. Le trio est programmé ce samedi aux “Vendanges musicales” de Charnay, où l’on peut aussi voir dès ce vendredi Les Innocents.
Babys disparus
Qu’il est loin le temps où l’on voyait l’avenir du rock français à travers une génération prétendument spontanée – mais à vrai dire ficelée de toutes pièces ou presque par les rock’n’folkeux de Philippe Manœuvre, lequel, victime d’une rupture d’anévrisme critique, annonçait même une vague digne de l’explosion punk de 1976 (on pouffe). L’affaire avait pour nom les “baby-rockers”, car les protagonistes en question sortaient juste de l’adolescence – là déjà le loup couvait, car s’étonner de cet âge vert c’était déjà oublier le principe fondateur du rock, à savoir l’invention de la jeunesse.
Les Naast, Shades, Brats, BB Brunes, Plastiscines (la version 100 % féminine de la blague) et consorts portant mèches, perfecto et/ou costume de maquereau, opéraient quelque part entre les lignes séparant (ou reliant) l’Elvis circa 1954-1958 et tout ce qu’il engendra – les Beatles de l’allégorie de la Cavern et de la virée hamburgienne, mais aussi et surtout ceux qui avaient tenté, avec un léger jet-lag, de les singer en mode yé-yé, ce Google trad du rock’n’roll originel. Oui, donc, les baby-rockers (et rockeuses) faisaient du rock en français à faire se pâmer les jeunes filles et puis, à l’exception notable des... BB Brunes, plus rien (en cela, oui, le punk 76 n’était pas loin).
Conquête en cours
Mais les cycles vont et viennent, y compris celui d’une inexplicable alternance des modes d’expression : un coup, tout le monde chante en anglais, un coup, c’est le grand retour du français. Or, on sait combien le rock français (pas la chanson, faisons bien la distinction) s’accommode mal – quelques exceptions confirment bien entendu la règle (mais bien souvent dans des sphères peu accessibles) – des mots de notre langue.
Du moins le croyait-on, jusqu’à ce qu’une nouvelle génération, un peu plus spontanée celle-ci, de musiciens du cru parvienne à opérer la jonction entre une parole littéraire et un langage musical rock sophistiqué. Point n’est besoin de parler du phénomène Fauve, qui est un peu à part et dont on ne parle d’ailleurs plus beaucoup, car deux groupes cousins tels que Feu! Chatterton et Radio Elvis, deux des sensations de Fourvière cet été, l’ont largement démontré. Le premier a sans doute davantage pris la lumière médiatique, encore que, mais le second est tout autant en conquête. C’est d’ailleurs le titre de cet album que 2016 attendait tant : Les Conquêtes.
Latitudes qui tranchent
On peine un peu à croire que la carrière de Pierre Guénard, qui couche sur le papier et découche au micro les paroles du groupe, soit passée par l’expérience du slam, ce qui en fait davantage un cousin de Fauve pour le coup que de Grand Corps Malade. Car, passé maître dans l’art du symbolisme et de la phrase coupante, c’est une tout autre forme de raideur que sert Guénard, quelque part entre Bashung, Dominique A, feu Ian Curtis et un jeune Morrissey francisé.
Quelque part aussi au cœur des ténèbres, puisque sous les thématiques volontiers voyageuses (il est beaucoup question d’ailleurs car la question fondamentale est “Pourquoi sommes-nous là ?/Nous n’arrivons à rien”), les sous-textes (symbolisme encore) se dénichent en grande profondeur ou en lointains horizons. À des degrés de compréhension s’éloignant à ce point du premier, généralement servi par le rock français, qu’il fait de ces degrés des latitudes.