À l’occasion du départ à la retraite du directeur du musée d’Art contemporain de Lyon, l’ancien adjoint à la Culture et au Patrimoine salue dans cette tribune “l’esprit de Raspail”.
“Raspail, à la limite” par Denis Trouxe
La première fois que je l’ai rencontré, c’était en tant qu’adjoint à la Culture, fin 1995. Ce fut court, très court. En quelques phrases précises, il me fit part du positionnement du MAC et d’une vision de l’art contemporain : “Les musées régionaux tels que ceux de Grenoble et de Saint-Étienne ont des longueurs d’avance sur nous. Leurs collections d’art moderne et d’art contemporain nous écrasent. Pour exister, je n’ai qu’une stratégie : me situer à la limite.” L’histoire des trois villes plaidait pour son approche. Son histoire de limite me plaisait. J’avais axé ma politique culturelle sur l’encouragement à la création dans toutes les esthétiques. Il fallait secouer la ville, même si dans les arts plastiques une minorité de Lyonnais talentueux s’était fait entendre. Certes, ses choix n’engendraient pas l’unanimité. Au fil des biennales, il ne s’est pas fait que des amis. Je l’ai toujours trouvé très courageux. Il ne s’est pas perdu dans le fayotage auprès des élus pas convaincus. Il a assumé ses choix “à la limite” et a poursuivi sa ligne très longtemps puisqu’il détient le record de longévité parmi les directeurs d’institution. Grâce à lui, Lyon a pris la teinte des arts contemporains, a fait éclater une bulle de conservatisme, donc une image de marque. Je me souviens de ma première biennale avec lui. Elle s’appelait “L’Autre”. Le commissaire choisi par Raspail était Harald Szeemann. Un homme d’une compétence exceptionnelle qui, avec des moyens très limités, donna à cette biennale un fort succès international. Lors de la conférence de presse bilan, Szeemann me “moucha” très sérieusement. Pour convaincre mon conseil municipal des vertus commerciales de l’art contemporain, en vue des prochaines négociations budgétaires, j’avais fait réaliser une enquête par l’EM Lyon sur les retombées en termes d’hôtellerie de la biennale, lesquelles étaient très bonnes voire surprenantes. Harald grimpe sur une chaise et déclare, très agacé : “Je ne savais pas que je travaillais pour les hôteliers !” Rires mauvais dans l’assemblée. Je me fais petit. Je sens que toute la communauté artistique présente, journalistes et Raspail compris, pense comme Szeemann. J’ai mis du temps à m’y faire, à cet esprit. À l’esprit de Raspail aussi. Un esprit qui a fait du très bon boulot.