Alan Vega, le chanteur de Suicide, groupe post-punk minimaliste culte des années 70-80, revient à Lyon avec, cette fois, une face moins connue de son travail : des sculptures lumineuses, exposées en rétrospective exclusive au musée d'art contemporain.
Alan Vega affiche à 60 ans (ou 70 ans, on ne sait pas puisqu'il ne donne jamais son âge véritable) une envie bouillonnante de livrer les arcanes de sa production artistique, qu'elle soit plastique ou musicale. C'est pourtant un peu effrayant d'interviewer un type qui, à une certaine époque, a fouetté son public avec des chaînes, du haut de sa scène. Un punk-comportement assez remarquable, qui contraste aujourd'hui avec la petite voix mutine d'un de ses enfants présentant toute la famille Vega sur le message d'accueil du répondeur. Intelligent et chaleureux, Alan en direct de son home-sweet-home new-yorkais.
Lyon Capitale : Vous avez entretenu un contact direct fondé sur la violence et l'ironie avec votre public (qui vous le rendait bien aussi) : sur scène, le show de Suicide était nourri de ce rapport haine-amour. Comment pensez-vous que vos oeuvres plastiques sont reçues aujourd'hui ?
Alan Vega : Qui sait ce qu'ils vont en penser et comment ils vont réagir face à mon travail ? C'est ce que je trouve génial, en fait. Les choses ont fondamentalement changé depuis dix ans. A la fin de Suicide, j'étais devenu un amuseur public. La mise en scène de mes spectacles n'était rien de plus que du divertissement pour des spectateurs finalement habitués à cette violence sur scène. On ne peut pas choquer et surprendre dans la durée. Dans les années 70, mes pratiques étaient jugées folles, on me prenait pour un aliéné. Et quarante ans après, personne ne s'attendait à voir ce dingue exposer dans un musée, ce qui est vraiment jubilatoire.
Anti-formelles, vos oeuvres plastiques ressemblent d'une certaine façon à votre musique. Suivent-elles un même schéma d'inspiration ?
Parfois, je suppose que mes visions sont différentes, mais c'est faux parce que je reste la même personne, j'ai les mêmes empreintes digitales. Tout au long de ma carrière, je me suis posé cette question, et je ne peux pas vraiment y répondre. Il m'est arrivé de ne pas écouter les albums de Suicide pendant cinq ou dix ans, juste pour pouvoir continuer à avancer. Ensuite je les redécouvrais et je criais : comment ai-je pu arriver à une telle sonorité ? Je me suis surpris à dire : putain, c'est vachement bien ! Et même en peinture, en sculpture, en dessin, il m'arrive de me demander si c'est bien moi qui ai fait ça. Quand je finis mon œuvre, j'en suis plus qu'estomaqué : elle ne rejoint jamais mon concept de départ. Et ce sentiment est identique en musique ou dans tout autre art, cela va où cela veut aller. Ce qui me procure un sentiment de liberté psychique et de pouvoir. C'est mon environnement qui nourrit ce travail artistique. On grandit, on fonde une famille, on élève des enfants. On pense différemment.
A une époque, vous avez dit que la musique était secondaire vis-à-vis de vos sculptures. Est-ce qu'avec le recul et l'impact qu'a eu le groupe Suicide, vous pensez toujours la même chose ?
Je n'ai jamais vraiment voulu dire cela mais maintenant c'est une phrase reprise un peu partout. Je voulais surtout dire que je me considère comme un artiste visuel, j'ai d'ailleurs suivi des cours d'art au Brooklyn College. Avant la formation de Suicide, je jouais déjà de la musique électro pour moi-même, sans penser à une carrière ou à monter sur scène. J'étais trop timide, trop terrifié par l'idée du concert. Et puis finalement, j'ai passé trente ans sur scène, c'est un peu une surprise (rires) ! Avant Suicide, je rêvais d'être exposé dans les plus grandes galeries du monde. Puis Martin Rev est entré dans ma vie, il était très jazz et moi davantage rock, on a réuni nos talents : Suicide est arrivé comme ça, accidentellement. Ce groupe a toujours été très visuel, pour mon travail plastique j'ai souvent utilisé certaines de nos idées comme les éclairements de nos shows. Je ferai toujours de la musique, je travaille d'ailleurs en ce moment sur un projet d'album solo. C'est juste agréable d'alterner les deux domaines pour revenir frais et dispos. Voilà pourquoi j'ai fait une vingtaine d'albums et des centaines de créations.
Pour cette rétrospective à Lyon, vous annoncez une installation lumineuse monumentale, en exclusivité. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
Elle n'est pas encore réalisée, je la créerai une fois à Lyon. Je ne pouvais pas la ramener de New York, c'est gigantesque : dix-huit mètres de longueur et quatre mètres de hauteur, presque plus grand qu'un terrain de basket-ball. Certains matériaux ont déjà été envoyés à Lyon. Mais il est probable que je ne les utilise pas tous. Je suis sûr qu'arrivé devant le mur du MAC, je partirai sur une piste que je ne peux même pas encore visualiser. Cela fait partie de mon travail : je veux être surpris aussi.
Dalya Daoud et Julien Lamy
Rétrospective Alan Vega, au musée d'art contemporain de Lyon, du 15 mai au 2 août. www.mac-lyon.com
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