Une semaine après sa présentation cannoise, retour sur le film qui crève l'écran et le box office. Où un Russell Crowe marmoréen et un Ridley Scott à grand spectacle bousculent la légende de l'archer de Nottingham. Confus mais réjouissant.
Il est loin le temps où le bandit au grand coeur était incarné par un type en collant arborant fine moustache et plume au chapeau façon Errol Flynn, ou par un héros romantique aux yeux tristes et mous façon Kevin Costner assaisonné de Bryan Adams. Dans n'importe quelle autre adaptation de Robin des Bois, Russell Crowe aurait joué le mal nommé Petit Jean, le costaud bas du front qui vous écrase un tronc d'arbre sur le nez à la moindre occasion. Mais les temps ont bien changé et les héros ont pris du muscle. Et si Robin est ici un colosse, Petit Jean (formidable Kevin Durand, vu dans Lost et 3h10 pour Yuma) est, à l'échelle : une demi-montagne. On suppose également que Ridley Scott a voulu profiter du succès de Gladiator en nous refaisant le coup du héros de granit qu'une vie de péripéties a doté d'un coeur pur comme la Cristaline à Guy Roux. Qui sait si en sautant quelques centaines d'années, le prochain Ridley Scott ne mettra pas en scène Russell Crowe en Zorro ou en Davy Crockett ? Mais c'est négliger l'hypothèse, plus intéressante, selon laquelle le réalisateur britannique a voulu débarrasser le héros de sa part mythique, celle là-même qui a tôt fait de façonner la caricature (moustache, plume, fabliau roucoulé au clair de lune).
Pas un Robin des Bois
N'était la carrure de troisième ligne centre des All-Blacks, l'acteur Néo-Zélandais pourrait d'ailleurs clamer à la manière de Toni Musulin « Je ne suis pas un Robin des Bois, je suis normal ». Un type au départ plus serviable que rebelle balancé tout cru dans les turpitudes de l'Histoire, comme tant d'autres. Et qui ne demande rien de mieux que de mettre un peu de blé (au sens propre comme figuré) de côté avant d'être rattrapé par les événements. Voilà donc Robin Longstride et sa bande de Pieds Nickelés rabelaisiens, anciens croisés et archers du roi Richard Coeur de Lion – bientôt occis sur le chemin du retour des Croisades – amenés à se battre pour la justice sociale dans un pays que la guerre a laissé sur la paille. Et dans lequel le Prince Jean, devenu roi à la suite de Richard, entend conserver malgré tout un royal train de vie en introduisant le concept de loyauté par l'impôt (dans ta gueule la TVA à 5 % !). Au gré des circonstances (quelque peu capillotractées) et suite à la mort de Coeur de Lion, Robin Longstride sera amené à prendre l'identité de feu Sir Robert Loxley, et accessoirement sa femme, la belle Marianne, irrésistible sous les traits de Cate Blanchett. Et même à s'allier au nouveau roi tant décrié pour bouter les Français de Philippe Auguste. Avant d'être bien évidemment victime de l'ingratitude et de la jalousie de son souverain (Robin est populaire quand les sondages donnent le Prince Jean à grosso modo 0 % d'opinions positives pour cause de tête à gifles sonnant creux).
Magna Carta
Ce n'est donc pas les aventures de Robin des Bois auxquelles on assiste ici mais bien à sa naissance (d'ailleurs Robin n'habite pas les bois avant les derniers plans du film, ce qui pourrait bien nous valoir une suite bien revancharde). Mieux Robin y apparaît même comme l'inspirateur de la Magna Carta, ce texte fondateur du droit anglais et premier pas vers la démocratie moderne obtenu de Jean Sans Terre par une poignée de nobles rebelles en 1215. En dépit de quelques autres aménagements historiques et d'un récit aussi alambiqué que les chemins de la Forêt de Sherwood, Ridley Scott, l'un des « M. Tout ou Rien » du cinéma mondial, s'emploie à traiter la chose avec le sens du spectacle et du romanesque qu'on lui connaît. Notamment lors de scènes de batailles impressionnantes de réalisme et habilement chorégraphiées. Et s'il prend quelques libertés historiques avec cette période où les trônes avaient des allures de sièges éjectables, c'est peut-être pour mieux la plaquer sur la nôtre. Nous sommes ici en des temps de crise budgétaire carabinée, où les riches veulent toujours plus aux dépens de pauvres qui ont de moins en moins, refrain éternel et indémodable. D'ailleurs, s'il n'était Anglais, Jean Sans Terre, ce roi bling-bling et autoritaire, qui ne tient pas ses promesses et s'éprend d'une belle étrangère (la gironde Isabelle d'Angoulême) nous ferait d'ailleurs presque penser à quelqu'un. Mais à vrai dire, son homologue d'outre-Manche Philippe Auguste ne vaut guère mieux : traître, cupide, sans scrupules et qui plus est français. Pour relever le gant dans ce monde de rois félons où de Liberté n'est bonne que celle de s'enrichir, il fallait un peu plus qu'un gymnaste sautillant en collant entre les marguerites. Un homme des bois, un vrai.