Saâdane Afif n’est pas un homme-orchestre, mais son travail, oui. Ses installations mêlent objets, chansons, musique, graphisme, dans un jeu de variations sur le même thème déconcertant.
Saâdane Afif fait incontestablement partie des artistes contemporains les plus intéressants de sa génération. Mais, pour apprécier son travail dans sa globalité, il faut accepter de ne pas tout saisir, de prendre son temps même si l’on arrivera toujours trop tôt ou trop tard, et d’ouvrir les yeux et les oreilles. Bref, de perdre un peu ses (mauvaises) habitudes de visiteur. D’ailleurs, cette exposition rétrospective n’en est pas vraiment une. Ça commence bien.
La musique des œuvres
Dans le dédale des salles de l’IAC, Saâdane Afif articule son accrochage comme une rengaine autour d’une chanson inspirée d’une de ses œuvres, Blue Time, que l’artiste a commandée à Lili Reynaud-Dewar en 2004. Celle-ci est également artiste, Saâdane Afif sollicitant divers acteurs pour l’élaboration de ses projets – graphistes, auteurs, musiciens – à qui il demande de composer librement à partir de ses pièces. Il va sans dire que le travail de Saâdane Afif est musical. Il suffit de voir les affiches-annonces de ses projets dès la première salle, plus proches des affiches de concert que des flyers d’exposition, ou les décors peints suspendus aux zébrures orange comportant l’inscription cour et jardin (lien avec la scène) ou encore l’ambiance presque disco de la dernière salle de l’IAC avec ses feuilles réfléchissantes et colorantes qui tournent sur elles-mêmes. L’univers est aussi gorgé d’instruments de musique (notamment la guitare, forme déjà sculpturale), détournés ou ready-made, d’éléments d’amplification du son et d’appareils émetteurs (radio, casques audio). Mais, surtout, l’œuvre de Saâdane Afif a rapport au temps.
Auto-tempo
L’artiste nous maintient dans un entre-deux temporel, où l’on ne sait plus si les événements annoncés par les affiches ressortissent au passé ou au futur, si la présence de maquettes laisse présager d’une forme future ou au contraire sont les vestiges d’une proposition scénique achevée. La forme répétitive prédomine. Celle du texte de la chanson Blue Time que l’on retrouve d’une salle à l’autre comme pour mieux troubler la visite en orchestrant du déjà-vu et répétée trois fois en guise de titre d’exposition, le remake de ses propres œuvres antérieures, la pulsation continue de l’œuvre métronome mi-guitare mi-horloge Blue Time (Sunburst), l’omniprésence de la boucle, du motif circulaire... Pourtant, loin de patiner, l’artiste s’adonne au jeu des variations sur le même thème sans jamais lasser. Ainsi, il appelle à de multiples interprétations et tente – c’est la caractéristique de son travail – d’échapper à une forme définitive d’exposition.
Multipliant les références (comme le bâton de Black Spirit dont il emprunte la forme à André Cadere) et autoréférences, les collaborations avec d’autres artistes et auteurs, le travail graphique et sculptural de Saâdane Afif, lauréat du prix Marcel-Duchamp en 2009, est tout à fait singulier, et cependant bien collectif.
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Saâdane Afif – Blue time, blue time, blue time... Jusqu’au 28 avril, à l’IAC (Villeurbanne).