Géant de la pop française, Sébastien Tellier est une montagne d’excentricité à l’univers totalement détraqué. À preuve, son dernier album, My God is Blue, où à force de consommation de Pépito bleus le chanteur s’imagine en gourou érotique d’un monde bleuté. Et réussit là où l’ancien aspirant chanteur Raël a échoué.
À ceux qui pensent naïvement que Sébastien Tellier a tendance à voir des éléphants roses, il faudra apprendre que les siens sont plutôt bleus. Comme le soulignent le titre de son dernier album et son morceau d’ouverture – quelque part entre Enigma (mais si, souvenez-vous), les Chœurs de l’Armée rouge (enfin, bleue) et Serge Gainsbourg – baptisé Pépito bleu. C’est sans doute à la consommation excessive de ces biscuits introuvables dans le commerce que l’on doit la personnalité quelque peu intrigante du gars Tellier et son idée de créer le mouvement l’Alliance bleue (www.alliancebleue.com), une communauté qui n’a rien à voir avec la reconstruction de l’UMP.
Pour se faire une idée de Sébastien, il faudrait imaginer un Chabal pop qui voit en permanence trente-six chandelles, n’enfile plus jamais son maillot, au profit d’un peignoir – ou, plus dernièrement, d’une toge de gourou proto-sectaire –, nourri d’une vocation néo-raélienne très portée sur la chose. À l’image du clip rapidement censuré de Cochon Ville, ne représentant rien de moins qu’une partie plus ou moins fine dirigée par un Tellier exalté, au charisme à la Manson (Charles pas Marylin) – “Prosterne-toi, danse”, assène-t-il, l’œil fluorescent. Car, le dieu bleu dont il est question, c’est un peu lui. Bien sûr, c’est pour rire, encore que. À l’image de Cochon Ville, avec Tellier on ne sait jamais trop ce qui relève de l’art et ce qui se rapporte au cochon. L’intéressé n’aimant rien tant que brouiller les pistes en interview, avec les réponses sibyllino-cryptiques du type qui tient absolument à ce qu’on le prenne pour plus bête qu’il n’est.
La Ritournelle
Sauf que, derrière tout ce barnum volontiers agaçant, se tient un compositeur de première main dont le pivot, le bijou et la malédiction, se nomme La Ritournelle. De cette petite merveille de pop en apesanteur incluse dans l’album Politics (2004), qui le plaça d’entrée à la droite de Dieu (Air, à l’époque), Tellier eut à peu près autant de mal à se défaire que le capitaine Haddock de son proverbial sparadrap. Malédiction d’avoir pondu trop vite un chef-d’œuvre à l’aune duquel tout serait mesuré. Tellier donna donc l’un de ces coups de volant qui vous envoient dans le décor quand vous n’avez d’autre choix que de suivre une route toute tracée qui toujours vous ramène au même endroit. Trop conscient, comme le disait Dali, qu’“à force de jouer au génie, on risque de le devenir”. D’où ce personnage en rupture avec la normalité, qui a quelque chose à faire oublier et le fait à coups de partis pris esthétiques que son génie lui permet d’appréhender sans peine. Comme sur Sexuality (2008), où il rejoue les Rubettes mais façon roupettes.
Color of Night
Et puisque tout le monde a semblé mordre à l’hameçon de sa diversion, au point qu’on l’envoya jouer les chairs à canon à l’Eurovision, Tellier en a rajouté une bonne couche, pariant sur le fait qu’on serait prêt à suivre le gourou au pays des Pépito bleus, à coups de rythmiques 70s et de synthés 80s. Sauf que, derrière le ripolinage provoc’, brillent quelques merveilles moins ramenardes, à l’image de Magical Hurricane ou Mayday, ballades à se damner.
On se souvient d’un navet psychanalytico-érotique avec Bruce Willis et Jane March (la jeune bombasse de L’Amant de Jean-Jacques Annaud), Color of Night, où le psychiatre joué par Bruce souffrait, suite à un traumatisme, d’un daltonisme psychosomatique le rendant incapable de voir la couleur rouge. On parierait bien un Pépito bleu que Tellier adore ce film, lui qui a poussé le daltonisme jusqu’à ne voir la vie autrement qu’en bleu. Comme tous les grands artistes à un moment de leur carrière.
Sébastien Tellier. Mercredi 17 octobre, à 19h, au Transbordeur (Villeurbanne).